Pour la 6e édition de la Journée de la Recherche Clinique, le Centre d’Investigation et d’Epidémiologie Clinique (CIEC) du CRP-Santé organisait une journée de formation continue intégralement consacrée à la pharmacovigilance. Une initiative couronnée de plus grand succès, avec plus de 100 participants et une interaction totale avec les orateurs. Les conditions des études cliniques sont évidemment très différentes des conditions de la vie réelle au cabinet ou à l’hôpital. Alors qu’en pratique quotidienne les patients présentent souvent de nombreuses pathologies et sont largement polymédiqués, les études portent sur des populations très particulières et hautement sélectionnées. Cependant, elles sont aussi et surtout suivies de très près, conformément aux exigences strictes des protocoles. Le CIEC, sous la direction du Dr Anna Chioti, était dès lors particulièrement bien placé à Luxembourg pour proposer aux chercheurs et aux cliniciens une formation à la pharmacovigilance.
Le Dr Elisabeth Heisbourg, Directeur adjoint de la Santé, qui a ouvert la réunion au nom du ministère de la Santé, a pu saluer à juste titre l’équipe du CIEC pour son organisation sans faille d’une journée sur un sujet ardu qui touche directement aux prérogatives du ministère.
Les médicaments sauvent des vies et soulagent des souffrances… mais ils peuvent provoquer des effets indésirables, note en ouverture Jacques Berlo, pharmacien d’industrie ayant une vaste expérience de la pharmacovigilance.
On estime ainsi que:
• 5% des hospitalisations sont dues à des effets indésirables;
• 5% des patients hospitalisés souffrent d’un effet indésirable;
• les effets indésirables sont la 5e cause de décès en milieu hospitalier.
C’est pour ces raisons que tous les médicaments font l’objet en Europe d’une évaluation de sécurité très stricte avant l’autorisation de mise sur le marché, ainsi que d’un système de surveillance continue visant à détecter, évaluer et prévenir les effets indésirables: la pharmacovigilance.
En pharmacovigilance, les mots ont une importance cruciale. Un événement indésirable désigne une manifestation indésirable survenant chez une personne pendant un traitement, et ce qu’elle soit considérée ou non comme liée à un médicament. Si cet événement indésirable paraît en relation avec un médicament, on parle d’un effet indésirable: une réaction notice et non voulue à un médicament, se produisant aux posologies normalement utilisées. Cet effet peut être attendu si sa survenue peut s’expliquer par l’une des propriétés du médicament, ou inattendu, s’il ne peut s’expliquer par
l’une des propriétés pharmacologiques du médicament.
Enfin, il peut être d’intensité faible (n’affecte pas l’activité quotidienne), moyenne (perturbe l’activité quotidienne) ou forte (empêche l’activité quotidienne).
La clé en pharmacovigilance est de pouvoir recueillir des données de qualité suffisante. Ainsi, le formulaire CIOMS est fondamental car il reprend les données essentielles complétées d’un volet anamnestique. A savoir: une nouvelle législation a été mise en oeuvre entre 2010 et 2014, avec pour but d’augmenter les performances du système de rapportage – visant des normes de qualité analogues au système ISO - et de permettre au régulateur de mieux répondre.
Tous les effets indésirables sont des événements indésirables, mais tous les événements indésirables ne sont pas des effets indésirables. En terminologie anglo-saxonne, on distingue de même dans les études les ADR (adverse drug reactions) et les AE (adverse events).
On retiendra que cette nouvelle législation implique une communication avec tous les acteurs de la santé publique, et définit de nouvelles pratiques, remettant le patient et le professionnel en position centrale. Une des nouveautés est la notion de
«contrat» entre les autorités régulatrices et les laboratoires pour le suivi d’un médicament innovant après sa mise sur le marché. Une autre – et non des moindres – est le fait que «tout le monde» est appelé à communiquer: médecins, pharmaciens, personnel infirmer, mais aussi patients et associations de patients.
Les médicaments innovants faisant l’objet d’un suivi supplémentaire sont référencés par le «black triangle».
Le cas des études cliniques
d’après la présentation de Nancy De Bremaeker (CIEC, CRP-Santé)
Dans le cas d’une étude clinique, tout est rapporté, même des diagnostics posés pendant une étude pour une maladie préexistante. Ainsi, un ulcère diagnostiqué le lendemain du début de l’étude est un événement
indésirable.
Dans le cadre d’une étude, les donnés de sécurité collectées se répartissent en quatre grandes catégories:
• les événements indésirables (adverse events, AE);
• les événements indésirables graves (serious adverse events, SAE);
• les grossesses;
• les autres données (données de laboratoire, données spécifiques au projet, etc.).
En Europe, un événement indésirable doit être notifié dès la signature du formulaire de consentement éclairé et au moins jusque 30 jours après la fin de l’étude.
Lors d’une étude, la brochure de l’investigateur est amendée au fil de l’émergence des événements indésirables, ce qui implique en continu:
• la surveillance des signaux;
• la révision du rapport «risque-bénéfice » du médicament;
• la révision de la brochure de l’investigateur et de la notice du produit;
• la communication des données de sécurité aux autorités régulatrices.
On parle d’événement indésirable en cas de survenue d’un événement nouveau ou d’aggravation d’une situation existante, comme:
• l’aggravation d’une maladie préexistante, par exemple l’aggravation d’une hypertension;
• l’augmentation de fréquence ou d’intensité d’une affection préexistante, par exemple l’augmentation de fréquence de crises de migraine;
• l’aggravation après le début de l’étude d’une maladie préexistante ou de symptômes déjà présents, par exemple l’aggravation d’un eczéma;
• l’observation d’un paramètre de laboratoire anormal, par exemple une hyperkaliémie;
• la dégradation d’un paramètre de laboratoire; mais aussi pour toute affection détectée ou diagnostiquée après le début de l’étude, même si elle pouvait être présente avant le début de l’étude.
Pour un événement indésirable (AE) ou un effet indésirable (ADR), un événement indésirable sérieux est défini par tout événement médical qui:
• entraîne le décès;
• menace la vie du patient;
• nécessite une hospitalisation ou l’allongement d’une hospitalisation existante;
• entraîne un handicap ou une incapacité significative persistant(e).
Constituent également un événement sérieux: une anomalie congénitale/malformation à la naissance ainsi que tout
événement médical important (c’est-à-dire tout événement menaçant le patient ou nécessitant une intervention médicale ou chirurgicale pour éviter une des issues critiques ci-dessus).
Au Grand-Duché de Luxembourg, les rapports de pharmacovigilance des cliniciens sont traités par le Centre Régional de Pharmacovigilance de Nancy. Des rapports qui ont pour objectif de définir l’imputabilité d’un effet secondaire, et devraient donc être aussi exhaustifs que possible.Avec la mise sur pied du système EudraVigilance (voir encadré), on observe un boum depuis 2007. Pour le Grand-Duché, il faut relativiser: le nombre de rapports est de 70 à 80 par an. Un nombre qui peut paraître insuffisant, et qui est évidemment en relation avec le poids administratif perçu d’une notification. On constate d’ailleurs de manière globale un ratio de 20/80 entre médecins libéraux et médecins hospitaliers, note Nadine Petitpain, du Centre Régional de Pharmacovigilance de Nancy.
«Si l’on ne notifie pas, cela n’arrive pas à EudraVigilance», insiste Jamila Hamdani, de l’Agence Fédérale des Médicaments et Produits de Santé (Belgique). Le message est clair d’autant que l’objectif est d’améliorer la sécurité.
Ces signaux, qui remontent des diverses sources, déclenchent une suite d’étapes: validation, confirmation, analyse et priorisation, recommandation d’action et enfin échange d’information. Un processus bien décrit et en même temps extrêmement complexe, mais qui – on l’oublie parfois – implique aujourd’hui de tout notifier.
L’Agence européenne des médicaments est responsable du développement, de la maintenance et de la coordination du système EudraVigilance, conçu pour la notification des effets indésirables. Les rapports transmis à EudraVigilance
comprennent les effets indésirables suspectés des médicaments signalés au cours des phases à la fois avant et après autorisation. Le système permet de détecter des signaux d’effets indésirables suspectés qui étaient inconnus auparavant, ainsi que de nouvelles informations sur des effets indésirables connus. Données rassemblées dans EudraVigilance
Module pré-autorisation: • effets indésirables graves inattendus suspectés (SUSARs), notifiés par les promoteurs d’essais cliniques;
• données issues d’études cliniques interventionnelles. Module post-autorisation:
• effets indésirables graves suspectés;
• notification spontanée des professionnels de santé;
• études post-autorisation (noninterventionnelles);
• littérature scientifique du monde entier (spontanée, non-interventionnelle); • transmission d’un agent infectieux par l’intermédiaire d’un produit médicinal.
Les données d’EudraVigilance pour les médicaments autorisés sont analysées régulièrement, à une fréquence d’une fois toutes les deux ou quatre semaines. Le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments et le groupe de travail Pharmacovigilance (PRAC) évaluent les signaux d’EudraVigilance et peuvent être amenés à recommander des mesures réglementaires.
EudraVigilance est utilisé par les autorités sanitaires nationales, l’Agence et les sociétés pharmaceutiques. Les obligations de notification des différentes parties intéressées sont définies dans la législation de l’UE, en particulier dans le règlement (CE) n° 726/2004, la directive 2001/83/CE telle que modifiée et la directive 2001/20/ CE. Veuillez consulter la page d’accueil
du site internet EudraVigilance pour de plus amples informations. Des détails concernant les processus de pharmacovigilance dans l’UE sont disponibles dans le volume 9A des règles gouvernant les produits médicinaux dans l’UE.
Pour plus d’informations: http://www.adrreports.eu/FR/eudravigilance.html
S’il y a bien une difficulté dans la pharmacovigilance édition 2014, c’est l’obligation de tout déclarer, estime le Dr Patrick Tabouring. Une obligation qui risque de noyer le débat.
Dr Tabouring: «La déclaration à la pharmacovigilance est obligatoire pour tout effet indésirable grave ou inattendu… et pourtant 25% seulement des médecins généralistes analysent les événements indésirables !» La question clé à se poser reste donc: «Et si c’était le médicament ?», si l’on veut pouvoir en fin de processus évaluer l’imputabilité, soit le lien de causalité entre un médicament et la survenue d’un événement indésirable.
Et pour se la poser, il faut être conscient des facteurs de risque de iatrogénie: l’âge, les polypathologies et la polymédication.
Un autre élément pointé du doigt par Patrick Tabouring est la défaillance des processus, qui aboutit à une iatrogénie évitable.
Erreurs de délivrance, prescriptions inadaptées, contre-indications, prescriptions hors AMM sont loin d’être anodins, et seraient même la 3e cause de iatrogénie. L’enjeu est important, si l’on sait qu’en France la iatrogénie ferait 20.000 morts par an en France, dont la moitié auraient été évitables. Un chiffre à mettre en parallèle avec le taux très faible de notifications: moins de 10% aux Etats-Unis, et bien moins encore chez nous.
Il s’agit donc, conclut Patrick Tabouring, d’être conscient des différents tempos.
• Le tempo du traitement: le temps à attendre pour observer l’effet secondaire.
• Le tempo du patient et de son entourage: le temps perdu par le patient à venir consulter, à énoncer les symptômes clairement.
• Le tempo du cabinet: le temps accordé par le médecin au patient et à son écoute.
• Le tempo cognitif du médecin: savoir, retrouver l’information.
• Le tempo du système médical: le temps nécessaire à obtenir les réponses de l’instance spécialisée.
Autant de raisons de conclure, pour notre confrère investi en formation continue, à l’importance de la sensibilisation des maîtres de stage, idéalement placés pour donner l’exemple.
Dr Tabouring: «Bien relever les plaintes [des patients] peut aider à prévenir les plaintes [au tribunal]»
Ce pain sur la planche ne concerne pas que la médecine générale. A l’hôpital aussi, les 7 déclarations ascendantes en 2013 pour le CHL font bien piètre figure en comparaison du volume d’unités sortant de la pharmacie.
«Une notification de pharmacovigilance est perçue comme une importante paperasse », note Grégory Gaudillot. Mais le pharmacien hospitalier vient à la rescousse du corps médical, au travers d’une mission très clairement décrite: Le pharmacien hospitalier a pour mission l’organisation et la promotion, en collaboration avec le corps médical, d’activités de pharmacovigilance et de matériovigilance, comprenant:
• la collecte des rapports sur les effets secondaires graves et/ou inattendus des médicaments,
• la transmission de ces rapports au centre de pharmacovigilance agréé par le ministre de la Santé,
• l’instruction des professionnels de santé quant à leur obligation de signaler les effets secondaires et les conduites à tenir en cas d’incident,
• un rapport annuel au directeur de l’établissement sur les activités de pharmacovigilance et de matériovigilance.
Dans le cadre de la pharmacovigilance, et du projet de pharmacie clinique et d’assistance pharmaceutique qui tient tant à coeur de Grégory Gaudillot (voir également notre interview en Expert du Mois dans ce même numéro), l’équipe de la pharmacie peut aider le corps médical à la rédaction et au suivi de la (ou des) notifications(s) de pharmacovigilance, aux recherches bibliographiques, aux case-reports, aux contacts répétés avec le CrPV de Nancy, la DPM, l’industrie pharmaceutique, etc. Cela, pour le versant ascendant. Mais elle assure aussi un feedback pour le médecin et met en place, le cas échéant, des recommandations de bonnes pratiques. Dans le cas du CHL, ce travail s’effectue aussi via l’intranet de l’hôpital, notamment par l’intégration des informations de pharmacovigilance au sein du formulaire thérapeutique.
Simple et efficace, au bénéfice de la sécurité du patient et du bon usage du médicament.
Telle un balancier, la pharmacovigilance est passée des ténèbres à la transparence absolue. Au point d’être parfois dépassée par une communication à outrance ?
Le comité d’évaluation des risques en pharmacovigilance (en anglais: Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, PRAC) a une politique de transparence intégrale. Une transparence érigée en dogme au niveau européen comme au niveau des agences nationales. Le défi est toutefois, note le Pr Dogné, membre effectif belge du PRAC, d’éviter les réactions exagérées. La mise à l’agenda du PRAC est publiée, mais le fait qu’un sujet soit à l’agenda n’implique pas une conclusion
définie. Au fil des années, on constate que par cette transparence, on génère des craintes avant l’éven l’éventuelle sanction administrative. Des informations mal interprétées, mal comprises, voire déformées. Un problème qui s’aggrave, à mesure que l’agenda est suivi par les médias, qui trop souvent «traduisent le lien temporel en lien de causalité», note le Pr Dogné.
Ce danger né de la médiatisation intensive des risques est illustré par le pill scare (panique à la pilule), observé en 1995 après une campagne mettant en lumière certains effets secondaires de ces médicaments, et la vague d’IVG qui en avait été la conséquence. D’autres cas plus récents (dompéridone, benzodiazépines) montre aussi l’amplification encore apportée
aujourd’hui par les réseaux sociaux. C’est pourquoi, note le Pr Dogné, afin de remettre les pendules à l’heure, on ne peut que souligner le rôle du pharmacien pour relativiser les risques et informer le patient.
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