Article paru dans le magazine Semper – édition mars 2019 – www.dsb.lu
Le cancer est l’une des principales causes de décès dans le monde. En 2018, on estime à 9,6 millions le nombre de décès, dont 1,76 million de décès dus au cancer du poumon, qui se place au premier rang (1).
Lucile Pernot, PhD - Attachée de Recherche Clinique au Centre d’Investigation et d’Epidémiologie Clinique (CIEC) du Luxembourg Institute of Health (LIH)
En Europe, le cancer du poumon représente le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme (après le cancer de la prostate) et le troisième plus fréquent chez la femme (après le cancer du sein et le cancer colorectal) (2). La mortalité liée au cancer du pou¬mon a connu une diminution parmi la population masculine alors qu’elle augmente dans la population féminine.
Cette tendance se retrouve au Luxembourg: d’après les statistiques des causes de décès de 2014, la première cause de mortalité par cancer chez l’homme reste le cancer du poumon avec 177 décès suivi du cancer du côlon (51 cas) et de la prostate (50 cas). Chez la femme, le cancer le plus meurtrier est le cancer du sein avec 86 cas, mais suivi de très près par le cancer du poumon (85 cas) (3). Ces chiffres montrent l’impact du cancer du poumon sur la santé et démontrent l’importance de développer de façon continue des traitements efficaces.
WIN ConsortiumLe consortium international WIN Worldwide Innovative Network in Cancer Personalized Medicine, est une organisation non-lucrative, non-gouvernementale créée en 2010 (une association française Loi 1901) dont le siège social est localisé à Paris (8). WIN est un réseau constitué de 40 institutions et compte entre autre parmi ses membres des centres académiques de renommée internationale, des acteurs de l’industrie (laboratoires pharmaceutiques et industriels du diagnostic), des organismes et fondations de recherche, répartis sur 4 continents et dans 17 pays: cette réunion de partenaires internationaux et diverses est l’atout majeur et qui fait la différence de ce réseau.
WIN a été créé dans le but d’accélérer le développement des traitements dans le domaine de la médecine personnalisée.
• améliorer la survie des patients atteints d’un cancer et leur qualité de vie, Source: www.winconsortium.org |
Lors des 20 dernières années, le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) représente 80% à 90% des cancers du poumon (4).
Pour le CPNPC de stade IIIB, le trai¬tement consiste en une chimiothérapie associée à un sel de platine (cisplatine ou carboplatine en cas de mauvaise tolérance) administrée en même temps que la radiothérapie ou séquentiellement (avant la radiothérapie) si le traitement simultané n’est pas toléré (5). Pour le CPNPC de stade IV, la chimiothérapie conventionnelle représente le traitement principal pour les patients dont la tumeur ne présente pas de modifications spéci¬fiques sur certains gènes (par exemple, mutations de l’EGFR ou translocation de ALK ou ROS1) (6). Dans certains cas la chimiothérapie peut être associée à un traitement anti-angiogénique (par exemple bevacizumab).
Pour les patients atteints d’un CPNPC métastatique et dont la tumeur présente des altérations moléculaires particulières comme mutation de l’EGFR ou translocation ALK ou ROS1, la thérapie ciblée est proposée (5-7).
Les thérapies ciblées anticancéreuses bloquent la croissance et/ou la propagation des cellules tumorales en agis¬sant spécifiquement sur certaines de leurs anomalies ou altérations moléculaires. Elles font partie de la médecine de précision ou médecine personnalisée car les traitements ont été développés à partir d’une meilleure connaissance de la biologie du cancer. Leur action principale est d’inhiber les mécanismes mêmes de l’oncogenèse tout en ayant une spécificité pour les cellules tumorales ou leur microenvironnement. Leur prescription est guidée selon les caractéristiques moléculaires de la tumeur de chaque patient.
Ces thérapies permettent de contrôler la maladie à long terme chez certains patients. Ces médicaments ont des effets secondaires différents des chimiothérapies (peu de chute de cheveux et peu de toxicité hématologique).
Aujourd’hui deux immunothérapies spécifiques sont utilisées pour le traitement du CPNPC. Le médicament utilisé dans ce cas est un anticorps monoclonal aussi appelé - du fait de son action - inhibiteur de point de contrôle. L’immunothérapie spécifique permet au système immunitaire de s’attaquer aux cellules tumorales et rétablit une réponse immunitaire. La tumeur interagissant avec la protéine PD-1, point de contrôle situé sur les lymphocytes, échappe au système immunitaire. Le pembrolizumab et le nivolumab permettent de bloquer la protéine PD-1. Ce blocage empêche PD-1 d’interagir avec la protéine PD-L1 située sur les cellules tumorales. Les patients dont les tumeurs présentent des taux élevés de protéine PD-L1 peuvent recevoir une immuno-thérapie de première ligne à base de pembrolizumab.
Avec la prescription des thérapies ciblées rejointe par l’immunothérapie spécifique, l’arsenal thérapeutique s’est étoffé au cours des dernières années.
Fin 2015, un médicament anticancéreux sur quatre appartient à la classe des thérapies ciblées (7). Cet essor est le reflet de l’accélération de la recherche pour comprendre les mécanismes de l’oncogenèse.
Cependant les thérapies ciblées gardent un rayon d’action restreint: leurs indications thérapeutiques visent un état avancé ou métastatique de la maladie. Elles s’adressent à un nombre limité de patients: 1 à 2% des patients, dont la tumeur présente une altération moléculaire sur la protéine ALK, ont accès à une thérapie ciblée. Enfin certaines cellules cancéreuses s’adaptent et deviennent résistantes à ces thérapies ciblées.
Afin de déployer des nouveaux traitements améliorant la survie d’un plus grand nombre de patients, les efforts à venir se situent à différents niveaux : identifier de nouveaux marqueurs moléculaires, développer des outils d’aide à la décision thérapeutique qui intègrent l’hétérogénéité de la tumeur du patient, repenser la méthodologie évaluant les médicaments anticancéreux.
L’étude clinique SPRING (Survival Prolongation by Rationale Innovative Ge¬nomics, prolongation de la survie par la génomique rationnelle innovante) évalue les bénéfices d’une trithéra¬pie combinant trois thérapies ciblées dans le traitement en première ligne du CPNPC (stade IIIb) ou métastatique (stade IV).
SPRING est une étude clinique conçue et réalisée par le consortium international WIN (8) “Worldwide Innovative Network in Cancer Personalized Medicine’’. La Fondation ARC (France), membre et partenaire stratégique de WIN, soutient financièrement l’étude. Le LIH et le CHL, membres du Consortium WIN participent également financièrement à la réalisation de l’étude SPRING au Luxembourg.
L’étude s’adresse aux patients souffrant de CPNPC avancé/métastatique dont la tumeur ne présente pas d’altérations moléculaires: absence de mutation du gène codant pour la protéine EGFR, absence de réarrange¬ment pour ALK, absence d’altération de ROS1 et MET. Actuellement, cette population, représente la majorité des patients atteints de CPNPC avancé/ métastatique (~ 80% dans la population).
SPRING est une étude preuve de concept de phase 1-2 au cours de laquelle la trithérapie évaluée associe:
• un inhibiteur de la tyrosine kinase, qui vise la croissance vasculaire de la tumeur (sélectif des récepteurs VEGF), axitinib (Inlyta®),
• un inhibiteur des kinases dépen¬dantes des cyclines 4 et 6 – impliquées dans la régulation du cycle cellulaire, le palbociclib (Ibrance®),
• une immunothérapie, l’anticorps monoclonal avelumab (Bavencio®). Avelumab est un anticorps dirigé contre PD-L1, permettant au système immunitaire de reconnaître les cellules tumorales et de les tuer.
La phase 1, actuellement en cours aux Etats-Unis, en Europe et en Israël établira le dosage optimal du traitement. La phase 2 évaluera la tolérance et l’efficacité de la trithérapie. L’étude explorera aussi l’utilité clinique du système de cartographie interventionnelle simplifiée (Simplified Interventional Mapping System - SIMS) dans le but de développer un outil prédictif capable d’accompagner la prescription de la trithérapie. SIMS est un nouvel algorithme élaboré par WIN à partir des conclusions de l’essai WINTHER (8, 9). Le développement de cet outil nécessite de procéder chez le patient à une double biopsie: biopsie du tissu tumoral et parallèlement à du tissu bronchique sain de façon à cartographier les principales anomalies spécifiques à la tumeur. Cet algorithme intègre, pour chaque patient, les données relatives à la caractérisa¬tion de la tumeur et du tissu sain (informations génomiques et transcriptomiques). L’efficacité prédictive de SIMS sera évaluée de manière rétrospective, en comparant les résultats de l’algorithme à la réponse effective des patients à la trithérapie.
SPRING est une étude internationale coordonnée par le Dr Razelle Kurzrock (Université de Californie San Diego, Etats-Unis) et le Dr Enriqueta Felip (Vall d’Hebron Instituto de Oncologia, Barcelone, Espagne) et qui regroupe huit centres cliniques répartis dans cinq pays:
• UC San Diego, Moores Cancer Cen¬ter, Etats-Unis,
• Avera Cancer Institute, Sioux Falls, South Dakota, Etats-Unis,
• Vall d’Hebron Instituto de Oncologia (VHIO), Barcelone, Espagne,
• Centre Léon Bérard, Lyon, France,
• Hôpital Saint-Joseph, Paris, France,
• Institut Curie, Paris, France,
• Institute of Oncology Sheba Medical Center, Tel Hashomer, Israël,
• CHL, Luxembourg.
Infirmier de recherche clinique en oncologie
Dans le contexte de cette étude de phase 1, Jérôme Graas, Infirmier de Recherche Clinique au CIEC, est en charge de la gestion opérationnelle du projet. Il accompagne le patient dans son parcours de soin, de la signature du consentement jusqu’à la visite de fin d’étude. A l’interface entre l’hôpital et la recherche clinique, il planifie les visites et est en contact direct avec les services de support: le laboratoire d’analyses, le service d’imagerie, la pharmacie, les services de soins…) Il réalise les actes d’étude: prise de paramètres, collecte d’échantillons biologiques, dispensation des traitements. Il collecte les données d’étude et assiste les médecins investigateurs pour certaines tâches administratives propres aux activités de recherche clinique. Pour l’étude SPRING, le caractère expérimental de l’association de trois molécules, demande à l’infirmier de recherche une vigilance particulière. Il veille à la sécurité du patient et au relevé de tous les effets secondaires attendus ou inattendus liés au traitement. |
Après avoir reçu les autorisations du Ministère de la Santé et du Comité National d’Ethique de Recherche, la phase 1 de l’étude SPRING a été lan¬cée au Luxembourg et le site clinique, le CHL, a été ouvert pour le recrutement des patients en avril 2018. Le CIEC du Department of Population Health au LIH coordonne l’étude avec le soutien de la Cellule Enseignement Médical et Recherche du CHL. L’étude se déroule sous la direction du Dr Guy Berchem, Investigateur Principal, entouré par les médecins co-investigateurs, Dr Martina Degiorgis et Dr Catherine Herremans. L’équipe médicale est assistée lors des visites de l’étude par un infirmier de recherche clinique du CIEC, Mr Jérôme Graas.
Au CHL, cinq patients ont été sélectionnés mais seulement deux d’entre eux ont satisfait à l’ensemble des critères d’inclusion pour entrer dans l’étude SPRING. La préparation des blocs de paraffine (tissus sains et métastatiques issus des deux biopsies) nécessaires pour le volet génomique et transcriptomique de l’étude, a été confié à IBBL - Integrated BioBank of Luxembourg.
Pour assurer la sécurité des patients, en plus des visites prévues par le planning de l’étude, des contacts réguliers entre le Dr Berchem et son équipe de recherche clinique, notamment l’infirmier du CIEC sont assurés. De plus, l’évolution des patients dans l’étude est discutée chaque semaine au sein du comité de pilotage clinique via une téléconférence en présence de l’Inves-tigateur Coordinateur, le Dr Kurzrock et les principaux investigateurs des sites cliniques où se déroule l’étude.
La mise en place de la phase 1 de SPRING traduit l’effort commun du CHL et du LIH et de développer et de mettre à la disposition des patients au Luxembourg des thérapies innovantes.
Prise en charge des patients atteints d’un cancer au sein du CHL Kriibszentrum: vers des traitements de plus en plus personnalisésAu CHL, tous les patients atteints d’un cancer sont pris en charge au sein du CHL Kriibszentrum. Le centre offre une prise en charge complète de tous les types de cancer, de la prévention, au diagnostic et jusqu’ au traitement. Les stratégies thérapeutiques sont discutées lors de Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) réunissant les différents spécialistes: médecins de la spécialité concernée (ex. pneumologues), oncologues, chirurgiens, radiothérapeutes, radiologues ou tout autre praticien concerné par la pathologie cancéreuse traitée. L’objectif est d’individualiser la prise en charge, à la fois en prenant en compte les dernières recommandations des référentiels internationaux, mais aussi d’offrir la possibilité d’accéder à des thérapies innovantes, accessibles grâce à la participation des médecins à plusieurs études cliniques. Comme pour l’étude SPRING, c’est en permettant l’implication des médecins du CHL dans des projets de recherche innovants, axés sur une prise en charge personnalisée des patients atteints de cancer, que le Kriibszentrum répond à cet objectif. Source: www.chl.lu/fr/tags/kriibszentrum
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L’auteur remercie les membres de l’équipe du CIEC, la Cellule Enseignement Médical et Recherche du CHL et ainsi que chacun des intervenants au CHL au sein des différents départements pour les nombreuses discussions ayant permis la mise en place et le suivi de l’étude.
(1) https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/cancer
(2) Ferlay et al. Cancer incidence and mortality patterns in Europe: estimates for 40 countries in 2012. Eur J Cancer 2013; 49(6):1374-1403
(3) Fondation Cancer http://www.cancer.lu/fr/cancer-du-poumon
(4) Planchard et al., Metastatic non-small cell lung cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Annals of Oncology 29 (Supplement 4) :iv192-iv237, 2018 doi:10.1093/annonc/mdy275 published online 3oct2018
(5) Cancer du poumon non à petites cellules - Série guide ESMO pour les patients (2017); disponible sur https://www.esmo.org/content/download/7250/143186/file/FR-Cancer-du-Poumon-non-a-Petites-Cellules-Guide-pour-les-Patients.pdf
(6) Les traitements des cancers du poumon – Guide patients Novembre 2017 - Institut National du Cancer; disponible sur https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Les-traitements-des-cancers-du-poumon
(7) Les thérapies ciblées dans le traitement du cancer en 2015/ Etats des lieus et enjeux Juillet 2016 Institut National du Cancer; disponible sur https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Les-therapies-ciblees-dans-le-traitement-du-cancer-en-2015-Etat-des-lieux-et-enjeux
(8) http://www.winconsortium.org/
(9) Lazar et al., A simplified interventional mapping system (SIMS) for the selection of combinations of targeted treatments in non-small cell lung cancer. Oncotarget, 2015; 6(16):14139-52.
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