Article paru dans le magazine Semper - édition Septembre 2016 - www.dsb.lu
Semper 2016 Tagrisso AstraZeneca
Luxembourg, 6 juillet 2016
Toutes les conditions sont maintenant réunies pour traiter les patients atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules en progression, avec une mutation EGFR T790M. Celle-ci peut être recherchée par le laboratoire national de santé de Luxembourg en prélude à l'administration de l'osimertinib (Tagrisso ®), un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase de 3ème génération, actif dès lors que la mutation est présente. Cerise sur le gâteau, Tagrisso® est remboursé depuis le 1er août. Une synthèse des données présentées par le Pr F. Griesinger (Pius-Hospital Oldenburg),le Dr G. Berchem (CH Luxembourg) et le Dr D. Stieber (LNS Luxembourg) lors d'une soirée organisée à Luxembourg à l'initiative des laboratoires AstraZeneca.
L'osimertinib est un inhibiteur irréversible des récepteurs du facteur de croissance épidermique (EGFR) porteurs de la mutation activatrice (EGFRm) et de la mutation de résistance aux inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK) T790M. Il a été approuvé par l'EMA en février 2016 et peut maintenant être proposé en traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) en progression, avec une mutation EGFR T790M identifiée. Celle-ci correspond à un changement d’acide aminé en position 790 dans EGFR, avec une thréonine (T) remplacée par une méthionine (M) et apparaît sur l’exon 20 qui code pour une partie du domaine kinase. Environ 12% des CBNPC en Europe (40% en Asie) présentent une mutation du gène de l'EGFR, plus fréquente chez les non fumeurs (44%) et chez les femmes (21%). La recherche peut se faire sur un fragment de tissu obtenu par biopsie conventionnelle, mais aussi sur l'ADN des cellules tumorales circulantes (biopsie liquide), une méthode qui a l'avantage de refléter l'ensemble des sites métastatiques. La concordance entre les 2 méthodes est de 94%, la sensibilité de la méthode ADN est de l'ordre de 70% (PVV: 98,6%, NPV: 93,8%) avec le désavantage de donner des faux négatifs mais le grand avantage d'être facile (échantillon de sang recueilli sur tube EDTA + agent préservant), rapide (1 semaine) et aussi indiquée lorsque la biopsie n'est pas réalisable. La biopsie liquide a été approuvée par l'EMA au 1er juin 2016. On considère aujourd'hui qu'un résultat positif est un argument suffisant pour traiter immédiatement, un résultat négatif chez un patient en progression justifie une biopsie conventionnelle.
Un ITK-EGFR en première ligne permet un contrôle de la maladie pendant 9 à 12 mois en moyenne avec près de 20% des patients encore contrôlés à 2 ans. Des résistances peuvent toutefois apparaître, retrouvées d'emblée ou le plus souvent secondaires apparaissant parfois après seulement 3 mois de traitement. Près de 60% des patients avec une résistance acquise à un ITK-EGFR ont une mutation T790M dite secondaire, la plus fréquente commune aux trois thérapies ciblées qui sont actuellement proposées1 et l'incidence est d'environ 70% en association avec d'autres mutations. La mutation est détectable plusieurs semaines à plusieurs mois avant la progression clinique selon les critères RECIST. La résistance est un vrai défi pour l'oncologue, car elle apparaît quel que soit l'ITK utilisé en première ligne (gefitinib, erlotinib, afatinib) et les alternatives sont plutôt décevantes : la chimiothérapie (étude IMPRESS), une monothérapie avec un ITK de 2ème génération, l'afatinib plus le cétuximab, ou un retraitement par un ITK de première génération après une chimiothérapie. Mais dans les tumeurs résistantes, on sait que les ITK de 2ème génération ont une activité limitée avec une survie sans progression médiane assez courte, de l'ordre de 2,9 mois pour l'afatinib dans l'étude BIBW-2992 et de 5,4 mois pour le gefitinib2. Aujourd'hui, l'osimertinib peut changer le pronostic de ces patients.
L'efficacité et la sécurité d'emploi de l'osimertinib ont été validées dans deux études cliniques3 en ouvert, AURAex et AURA2, conduites chez des patients atteints d'un CBNPC qui ont progressé lors du traitement systémique antérieur. Un tiers des patients avaient reçu en première ligne un ITK-EGFR, les deux tiers restants avaient reçu deux lignes ou plus d'autres traitements. Sur le plan clinique, les patients présentaient un indice de performance OMS de 0 (37%) ou 1 (63%). La majorité des patients (83%) présentaient des métastases viscérales à l'inclusion et 39% présentaient des métastases cérébrales. Tous les patients inclus (âge médian: 63 ans, 13% > 75 ans, 68% de femmes, deux tiers d'asiatiques) devaient être porteurs de la mutation T790M pour recevoir l'osimertinib 80 mg per os 1x/j. Le critère primaire de jugement d'efficacité était le taux de réponses objectives selon les critères RECIST v1.1. Les critères de jugement secondaires étaient la durée de réponse, le taux de contrôle de la maladie et la survie sans progression. Selon des données actualisées et poolées des 2 études, le taux de réponse à l'osimertinib est de 66%, le taux de contrôle de la maladie est de 91% et la survie sans progression de 11 mois. Des taux de réponses objectives >50% s'observent dans tous les sous-groupes analysés quelle que soit la ligne de traitement, l'origine ethnique, l'âge. Globalement 2 patients sur 3 traités par Tagrisso® ont une réponse complète ou partielle et 9/10 ont un contrôle de la maladie pour une durée > 6 semaines. Sur le plan de la tolérance, les effets indésirables sont surtout de grade 1 (diarrhée, rash), ce qui facilite l'observance d'autant que Tagrisso® peut être pris avec ou sans nourriture, chaque jour à la même heure.
Aujourd'hui, tout est en place pour changer le pronostic de ces patients avec un CBNPC en progression. Le laboratoire de Luxembourg est en mesure d'effectuer la recherche de la mutation par une technique sensible spécifique et rapide. L'osimertinib est efficace, bien toléré avec notamment de moindres effets secondaires cutanés typiques des inhibiteurs de l'EGFR de 1ère et de 2ème génération. Dans l'expérience allemande (> 70 patients), la fréquence de l'allèle T790M est passée de 39% avant traitement à 0,48% à 2 semaines et 0,03% à 6 semaines. Cerise sur le gâteau, le remboursement pour Tagrisso® est acquis depuis le 1er août en traitement des patients adultes atteints d'un CBNPC localement avancé ou métastatique avec mutation EGFR T790M.
Dr Claude Biéva
Références :
1.Yu et al. Clin Cancer Research 213;19:2240-47
2.Soria JC, et al. Lancet oncol 2015;16:990-998
3.Young JCH, et al. ELCC 2016;#LBA¬_2PR
Pourquoi cet intérêt soudain pour la recherche de la mutation EGFR T790M ?
Jusqu'à présent, les demandes de recherche de la mutation EGFR T790M étaient peu nombreuses mais à raison. Un résultat positif ne pesait pas sur la décision thérapeutique. Aujourd'hui, le contexte a radicalement changé. Nous avons une alternative thérapeutique, avec la mise à disposition d'un nouvel inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) actif dès lors que la mutation EGFR T790M est présente. Cette mutation doit donc être recherchée sitôt les premiers signes de progression observés.
Sur quel échantillon biologique ?
Il existe un débat entre la recherche sur un fragment de tissu obtenu par une biopsie conventionnelle ou sur l'ADN circulant extrait des cellules tumorales (biopsie liquide). Cette dernière est plus facile pour tout le monde, aussi bien pour le patient que pour le médecin mais il faut nuancer: dans le diagnostic initial, une histologie est indispensable parce qu'il faut savoir quelle maladie on traite. Mais dans la rechute, il est légitime de commencer par une biopsie liquide sur plasma. Un résultat positif suffit pour commencer à traiter le patient. Un résultat négatif chez un patient avec des signes manifestes de progression justifie une biopsie conventionnelle.
Que peut ce nouvel ITK de dernière génération?
L'osimertinib se positionne en 2ème ligne chez les patients atteints d'un cancer bronchique avec mutation EGFR T790M qui ont progressé lors du traitement systémique antérieur. Les résultats sont bons en termes de survie sans progression et de survie globale. Ils sont mêmes équivalents à ce qu'on peut observer avec un autre ITK administré en première ligne. Qui plus est, les effets secondaires sous osimertinib sont réduits, notamment les effets cutanés du type rash, éruption, prurit etc. du fait probablement d'une action plus sélective de l'osimertinib sur l'EGFR muté que sur l'EGFR normal.
Des oncologues comblés ?
Certainement, nous avons au Luxembourg près de 200 patients atteints d'un cancer du poumon. Pour ceux en progression, nous étions un peu sans solution. Aujourd'hui nous avons des techniques de biologie moléculaire performantes pour identifier la mutation, un laboratoire capable de les mettre en œuvre, un ITK efficace et bien toléré, et cerise sur le gâteau un remboursement imminent. What else ?
(interview réalisée par le Dr Claude Biéva)
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