Article paru dans le magazine SEMPER en juin 2016 – www.dsb.lu
Rubrique sous la direction du Dr Chioti, responsable du Centre d’Investigation et d’Epidémiologie Clinique au LIH
Synthèse du rapport du Centre Fédéral Belge d’Expertise des Soins de Santé (KCE)1 et des propositions du groupe d’experts inter-Instituts Thématiques Multi-Organismes de recherche Clinique d’Aviesan en France2.
Le financement de la recherche clinique: un bon investissement
Comprendre la nature, l’étendue et les processus impliqués dans le retour sur investissement de la recherche biomédicale et plus particulièrement l’impact du financement de la recherche clinique représentent des questions délicates pour tous les pays. La recherche clinique est une activité dotée d’un impact fort et assez immédiat sur la santé et sur l’économie 3, 4. Cependant plusieurs facteurs font que le besoin d’un financement public et la nature de ce financement ne sont pas toujours bien compris par les décideurs5.
Les essais cliniques de médicament et de dispositif médical promus par l’industrie sont une activité importante qui, même si elle a eu tendance à décliner dans les dernières années en Europe, représente environ 2/3 des dépenses R&D de l’industrie pharmaceutique, qui correspondent à 10-12% du chiffre d’affaires du secteur (>50 milliards € par an) 4. L’investissement du secteur du dispositif médical est moindre, mais devrait s’accroitre dans le nouveau contexte réglementaire. Cela peut parfois faire oublier que la recherche clinique académique coexiste, avec des objectifs différents, et avec un besoin de financement spécifique3.
La recherche clinique est par ailleurs perçue comme une activité onéreuse. Elle est aussi perçue comme une recherche appliquée, moins gratifiée par certaines instances scientifiques d’évaluation que les travaux fondamentaux qui font appel à des technologies plus pointues. Le problème majeur de la recherche clinique est d’être située à l’interface de multiples acteurs: entre l’hôpital, l’université et les organismes publics de recherches, entre le monde du soin et celui de la recherche, entre industrie et académie, entre pilotage administratif et pilotage scientifique, entre financement ‘santé’ et financement ‘recherche’3.
La majorité des essais sur des médicaments sont conçus, réalisés et financés par la firme qui les produit et/ou les commercialise. En ce qui concerne les médicaments, la phase d’essais cliniques fait d’ailleurs partie intégrante du cycle de développement, étant donné qu’il s’agit d’une étape obligatoire pour l’obtention de leur autorisation de mise sur le marché. Le problème est que ces études ne répondent pas nécessairement à toutes les questions que sont en droit de se poser les patients et la société à propos de ces produits, dont une série de questions que l’industrie préfère ne pas voir abordées. Les essais cliniques non commerciaux peuvent quant à eux être financés par des fonds publics, par des milieux académiques et/ ou par des fondations ou organisations caritatives5.
Les essais financés par des fonds publics
– ceux qui nous intéressent ici – tentent généralement de répondre à des questions concrètes liées à la pratique clinique, auxquelles les essais commerciaux ne répondent pas.
Ces essais sont indépendants des firmes concernées, et peuvent porter sur la sécurité, l’efficacité clinique, l’utilité et les aspects économiques de traitements (nouveaux ou anciens). Ils sont réalisés dans les conditions réelles de la pratique avec des patients représentatifs de la population prise en charge sur le terrain (et sont à ce titre qualifiés de «pragmatiques») 5.
Ces essais non commerciaux initiés par les fonds publics ne sont pas seulement utiles pour les médicaments et dispositifs médicaux; ils sont aussi particulièrement nécessaires dans des secteurs où l’industrie n’a aucun intérêt, comme par exemple les psychothérapies, les screenings de population, les techniques chirurgicales, etc. Les essais académiques exploratoires, quant à eux, mettent davantage l’accent sur l’acquisition de connaissances scientifiques nouvelles.
La frontière entre le commercial et le non commercial n’est toutefois pas aussi nette que l’on pourrait penser.
Ainsi, les essais académiques exploratoires sont souvent cofinancés par l’industrie en échange de droits de propriété sur les résultats.
Pourquoi financer des essais cliniques avec des fonds publics ?
Beaucoup de questions pertinentes sur les soins de santé ne trouvent pas de réponse dans les essais cliniques à vocation
commerciale parce que l’industrie n’y trouverait aucun intérêt. Autrement dit, les recherches financées par le privé, qui font partie du cycle de développement du produit, visent davantage le profit que les bénéfices pour la santé publique ou la qualité des soins.
C’est pour cela que les essais cliniques financés par des fonds publics sont nécessaires. Ils permettent de résoudre des questions de soins de santé qui ne pourraient être résolues autrement.
La recherche clinique est une activité dotée d’un impact fort et assez immédiat sur la santé et sur l’économie.
1. Essais comparatifs d’efficacité clinique de médicaments
Pour les cliniciens, leurs patients et des autorités de santé, il importe de savoir quelle est l’option la plus efficace parmi différents traitements possibles. Pour cela, il faudrait réaliser des études comparatives directes entre des traitements existants. Mais les firmes concernées ne se lancent généralement pas dans ce genre d’études.
Les études commerciales sont souvent menées, selon les directives pour les études cliniques, avec des populations de patients hyper-sélectionnées, pas toujours représentatives de la pratique clinique de terrain. Les données qu’elles fournissent ne sont donc pas toujours extrapolables à la population «toutvenant » rencontrée en pratique courante.
Enfin, certains anciens médicaments pourraient encore avoir un intérêt dans une nouvelle indication, mais l’industrie pharmaceutique ne souhaite plus y investir. Générer des données pertinentes et objectives sur l’efficacité clinique des médicaments n’est parfois possible que grâce à la réalisation d’essais cliniques comparatifs non commerciaux. Ces essais doivent être considérés comme des composants essentiels de recherche et développement au sein d’un système de soins de santé. Les informations qu’ils apportent sont cruciales pour identifier les innovations réelles.
2. Essais chez les enfants et dans les maladies rares
Les maladies pédiatriques et les maladies rares sont des domaines parfois commercialement moins attractifs aux yeux de l’industrie, et ce malgré les réglementations et les avantages qui ont été mis en place ces dernières années pour encourager les recherches. Ces secteurs continuent donc à dépendre d’essais financés par des fonds publics pour générer des preuves scientifiques.
3. Essais sur les dispositifs médicaux
En Europe, le développement des dispositifs médicaux est beaucoup moins sévèrement régulé que celui des produits
pharmaceutiques. Très souvent, des dispositifs innovants à haut risque (implants,…) obtiennent un label CE basé sur des dossiers techniques et non des données prouvant leur efficacité clinique. Toutefois, quand il s’agit d’accorder leur remboursement, les pouvoirs publics exigent de plus en plus souvent les résultats d’essais cliniques comme preuves de leur efficacité. La nouvelle réglementation européenne sur les dispositifs médicaux vise à augmenter ces exigences afin de garantir une meilleure sécurité des patients. Soutenir la recherche clinique visant à valider des développements issus du milieu académique en partenariat avec les petites et moyennes entreprises est un investissement nécessaire.
4. Essais sur les diagnostics
Les interventions à visée diagnostique sont un domaine en pleine expansion mais les données d’efficacité scientifiquement
étayées y font encore largement défaut. Ainsi, les screenings de population nécessitent de très larges essais cliniques avant que leur bénéfice médical, sociétal et économique puisse être affirmé.
Par exemple, c’est grâce à des essais de grande envergure élaborés en collaboration avec les autorités de santé publique que l’on a pu prouver l’inefficacité d’un dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA (KCE Report 224)6, ou au contraire l’efficacité clinique du test HPV dans le dépistage du cancer du col utérin (KCE Report 238)7.
Un autre secteur du diagnostic au centre de toutes les attentions est celui des diagnostics compagnons pour les thérapies ciblées du cancer. Il est important de réaliser des essais cliniques pour évaluer leur précision en pratique courante, car cela peut avoir un impact important sur le rapport coût-efficacité de cette médecine personnalisée (KCE Report 240)8.
Le but de la recherche en santé, qu’elle soit fondamentale ou clinique, est globalement d’améliorer le niveau de santé de la population, ce qui peut se mesurer par une meilleure qualité de vie, une plus grande longévité, etc.
5. Essais dans des domaines sans intérêt pour l’industrie
D’autres domaines font moins souvent l’objet d’attention de la part du monde industriel, et sont pourtant essentiels au développement de soins de santé comme les techniques chirurgicales, la psychothérapie, les protocoles en radiothérapie, les interventions sur l’hygiène de vie, etc. Il faut parfois comparer deux interventions entre elles. Par exemple, un essai
comparatif entre un médicament et des alternatives non médicamenteuses: un antidiabétique versus des modifications d’hygiène de vie dans le diabète de type2.
Impact financier des essais cliniques publics
Le but de la recherche en santé, qu’elle soit fondamentale ou clinique, est globalement d’améliorer le niveau de santé de la population, ce qui peut se mesurer par une meilleure qualité de vie, une plus grande longévité, etc. Malheureusement, très peu d’études ont analysé systématiquement l’impact des essais cliniques publics sur les soins médicaux, la santé publique
et les coûts des soins.
Dans une analyse de l’impact économique d’un programme d’essais cliniques, les coûts directs liés aux essais eux-mêmes sont relativement aisés à calculer. Mais il est important de prendre également en compte les coûts et bénéfices indirects, tels qu’une augmentation globale des connaissances scientifiques, l’acquisition de compétences accrues pour les chercheurs impliqués dans les essais, ainsi qu’une amélioration de l’infrastructure et de la logistique. De plus, les équipes qui participent à des études cliniques se familiarisent davantage aux principes de la médecine Evidence-based.
Un exemple emblématique d’essai qui a changé la pratique clinique et apporté d’énormes bénéfices pour le budget des soins de santé est le Womens’ Health Initiative Trial, financé par le National Institute of Health (NIH) aux USA, et publié en 2002.
L’étude a permis de démontrer l’impact négatif des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause. Cela a entraîné une chute drastique de l’utilisation de ces traitements par les femmes ménopausées, avec pour conséquence une importante réduction du nombre de cancers du sein et d’incidents cardiovasculaires. Cet essai a été l’un des plus onéreux de l’histoire de la recherche ($ 260 millions) mais ses bénéfices ont été estimés à $ 37.1 milliards.
Toutes les évaluations examinées dans le rapport du KCE (y compris celles d’Australie, de Suède et des Pays-Bas) arrivent à la conclusion que les programmes de recherche clinique sont un bon investissement pour l’argent public et/ou que leur impact sur la pratique clinique est significatif.
Toutefois, ces bénéfices ne sont réalisables qu’à quelques conditions essentielles: une bonne sélection des sujets de recherche, une infrastructure adéquate, des compétences dans la réalisation d’essais cliniques et une volonté d’implémentation des résultats. Quant aux bénéfices éventuellement réalisés sur le budget des soins de santé, ils peuvent être réinvestis dans les programmes de recherche.
Quels investissements pour le Luxembourg?
Afin d’optimaliser l’impact des essais publics il faut une infrastructure et des réseaux efficaces, des programmes nationaux bien structurés et un contexte international favorable.
ECRIN (European Clinical Research Infrastructures Network ; www.ecrin.org ) est l’infrastructure européenne de recherche clinique dont l’objectif est de promouvoir et faciliter les études cliniques multinationales à l’échelle européenne. Il s’agit d’une infrastructure distribuée, fondée sur des centres de compétence capables de fournir des services intégrés pour la conduite d’études cliniques en Europe, principalement pour les promoteurs académiques.
ECRIN, en s’appuyant sur son réseau de correspondants implantés dans les coordinations nationales, facilite la recherche clinique en Europe en:
• proposant des informations et des consultations sur les exigences réglementaires et éthiques, l’assurance, les coûts et les financements, la sélection des centres dans les états membres,
• proposant des services décentralisés dans la réalisation des études cliniques (soumissions éthiques et réglementaires, monitorage, vigilance, etc.),
• coordonnant l’accès aux centres de recherche clinique/unités de recherche clinique ou groupes d’études cliniques.
Le Luxembourg a rejoint le réseau ECRIN grâce à l’existence dans le pays d’une structure qui coordonne la recherche
clinique au niveau national. Le Centre d’Investigation et d’Epidémiologie Clinique (CIEC) au LIH a très vite été impliqué dans les travaux préparatoires à l’expansion du réseau ECRIN et ce depuis 2009.
En 2011, le CIEC a officiellement rejoint le réseau et a déjà participé à la première réunion de lancement du projet en janvier 2012 à Bruxelles. Le CIEC a bénéficié d’un financement européen pour la création d’un poste de Correspondant Européen en son sein et est le point de contact pour les activités de recherche européennes au Luxembourg et en Belgique.
Plus récemment, grâce à son expertise et à la qualité de son travail, reconnues au niveau européen, le CIEC a remporté la coordination internationale d’un projet financé notamment par le programme européen Horizon202011. Ce projet de recherche clinique de développement d’un nouveau traitement dans la myopathie de Duchenne est le premier de la sorte en Europe et représente une approche innovante aussi bien dans le traitement de cette maladie rare, mais aussi de par le partenariat privé-public incluant les associations de patients. Cette opportunité n’est possible que dans le cadre d’un partenariat avec le réseau européen ECRIN.
La prochaine étape logique serait dès lors que le Luxembourg se joigne à ECRIN-ERIC en tant que membre à part entière et obtienne officiellement sa place bien méritée sur la carte de recherche clinique de l’Union Européenne. Mais ceci implique un engagement encore plus important de la part de notre institution et de notre ministère de tutelle, afin de démontrer que le Luxembourg, à travers le CIEC, peut être un partenaire crédible d’ECRIN et une structure pérenne dans le futur paysage de la recherche clinique luxembourgeoise et européenne.
Références :
1. Neyt M, Christiaens T, Demotes J, Hulstaert F. Financer des essais cliniques axés sur la pratique avec des fonds publics – Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 246Bs. D/2015/10.273/51.
https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_246Bs_Financer_essais_cliniques_Synthese.pdf
2. Financement public de la recherche clinique en France. Propositions du groupe d’experts inter-Instituts Thématiques Multi-Organismes de recherche Clinique d’Aviesan (Alliance nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé) http://www.aviesan.fr/content/download/6752/57896/version/1/file/Strat%C3%A9gie+nationale+de+recherche+-+Recherche+clinique.pdf.
3. Johnston SC et al., Effect of a US National Institutes of Health programme of clinical trialson public health and costs. Lancet 2006, 367:1319-27.
4. Medical research: What’s it worth? Wellcome Trust Report www.wellcome.ac.uk/About-us/Publications/Reports/Biomedical-science/WTX052113.htm
5. http://www.efpia.eu/topics/innovation/clinical-trials
6. Mambourg F, Kohn L, Robays J, Janssens S, Albertijn M, Ronsmans M, De Laet C. Un outil d’aide à la décision en cas de demande d’un dépistage du cancer de la prostate par PSA – Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des
Soins de Santé (KCE). 2014. KCE Reports 224Bs. D/2014/10.273/43. https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_224Bs_cancer_du_prostate_PSA_Synthese_.pdf
7. Arbyn M, Haelens A, Desomer A, Verdoodt F, Thiry N, Francart J, Hanquet G, Robays J. Quel dépistage pour le cancer du col ? –Synthèse. Health Technology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 238Bs.
D/2015/10.273/15. https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_238Bs_depistage%20cancer%20du%20col_Synthese_.pdf
8. Van den Bulcke M, San Miguel L, Salgado R, De Quecker E, De Schutter H, Waeytens A, Van Den Berghe P, Tejpar S, Van Houdt J, Van Laere S, Maes B, Hulstaert F. Tests de Panels de gènes par Next Generation Sequencing pour un traitement ciblé en oncologie et en
hémato-oncologie – Synthèse. Health Technology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2015. KCE Reports 240Bs. D/2015/10.273/24. https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_240Bs_NGS_traitement_cible_Synthese.pdf
9. Measuring the link between research and economic impact - report of an MRC consultation and workshop. http://www.mrc.ac.uk/Fundingopportunities/Highlightnotices/Research_economicimpact/MRC008598)
10. https://www.gov.uk/government/publications/uk-research-council-system-overview-ofeconomic-impact
11. http://cordis.europa.eu/project/rcn/199721_en.html
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