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La Recherche Translationnelle en Cancérologie

30/10/15
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Category: Oncology / Cancer
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La Recherche Translationnelle en Cancérologie : des découvertes de la recherche à la maitrise clinique du cancer

Qu’est-ce que le cancer?

De nos jours, le cancer comprend près de deux cents maladies d’étiologie et de manifestations très variées, impliquant des soins et des traitements différents. L’évolution des techniques d’étude des cancers a permis d’établir qu’ils sont caractérisés par un ensemble complexe de changements génétiques conduisant à la multiplication de certaines cellules de l’organisme, qui perdent le contrôle de leur prolifération, deviennent immortelles, échappent aux mécanismes normaux de différenciation et se développent de manière anarchique dans l’organisme [1]. Ces cellules s’accumulent pour former une tumeur qui envahit et détruit, par la suite, les tissus normaux avoisinants, d’où la malignité.

Selon l’OMS, les cancers figurent parmi les principales causes de morbidité et de mortalité dans le monde [2]. Les principales complications et la morbidité associées au cancer sont la résistance à la thérapie traditionnelle (chimiothérapie, radiothérapie), ainsi que l’apparition de métastases, c’est-à-dire de nouvelles tumeurs à distance de la première lésion [3].

Recherche en cancérologie, une mutualisation des efforts

L’avenir de la thérapie pour lutter contre le cancer et ses métastases repose sur la recherche fondamentale, d’une part, qui ne cesse d’approfondir les connaissances sur le fonctionnement des cellules saines et des cellules cancéreuses. Comprendre les mécanismes qui aboutissent au cancer est également indispensable pour développer de nouvelles approches diagnostiques et des traitements innovants, ou améliorer ceux qui sont déjà disponibles.

D’autre part, la recherche clinique, qui a pour objectif de définir et de valider les meilleures stratégies possibles de diagnostic et de traitements des pathologies cancéreuses. Il s'agit d'une étape cruciale dans la mise au point d'un traitement car cela correspond au moment où celui-ci est évalué chez l'être humain, après que les résultats des études précliniques effectuées en laboratoire aient été jugés satisfaisants.

La recherche clinique dépend de la recherche fondamentale qui la plupart du temps, est imprévisible en termes de résultats. Malheureusement elle peut échouer parfois dans ses tentatives à répondre à d’importantes questions de la médecine. Mais elle est à la base des progrès à long terme réalisés dans la lutte contre la maladie. D’autre part, la recherche clinique est aussi longue et coûteuse et il arrive parfois qu’un nouveau traitement ne s’avère pas aussi efficace que prévu.

Ces dernières années, la stratégie du secteur de la santé consiste à mettre en application toutes les découvertes de la recherche notamment en cancérologie pour des applications à l’homme malade et au bien-être des sociétés. Donc une ambition d'améliorer la prise en charge des patients, mais aussi de la prévention et des dépistages des cancers.

Recherche translationnelle : une passerelle entre la recherche fondamentale et la recherche clinique

La recherche translationnelle fut le maillon indispensable en assurant un flux bidirectionnel des connaissances : du patient vers la recherche fondamentale et de la recherche fondamentale vers le patient. Cette dynamique d’échange est assurée grâce à la forte implication des équipes expertes et multidisciplinaires formées de chercheurs et de cliniciens. Parmi les disciplines fondamentales à laquelle cette recherche fait appel, on peut citer la génomique, l’histologie ou la pharmacologie, et cliniques comme l’imagerie, la physiologie ou la thérapeutique [4].

Dans la dynamique qui va du laboratoire au patient, la recherche translationnelle a pour objectif l’établissement chez l’homme de preuves de concepts tirées du fondamental. Celles-ci concernent la validation de nouveaux biomarqueurs, de nouvelles thérapies ou de nouvelles instrumentations. Elles peuvent nécessiter des études physiopathologiques humaines ou des essais cliniques pilotes précédant des études de sécurité et d’efficacité. L’inverse peut également se concevoir quand les résultats d’essais cliniques nécessitent un retour vers des recherches fondamentales [5].

Nouvelles stratégies thérapeutiques en oncologie : thérapie ciblée

A l’heure actuelle la notion de « médecine personnalisée / de précision » est au cœur du développement des thérapies innovantes. Grace aux progrès des techniques d’analyse génétique, protéique et cellulaire, surtout depuis le séquençage du génome humain en 2003 [6]. Les chercheurs ne cessent de décortiquer les mécanismes sous-jacents au développement d’une maladie. Il est donc indispensable de mettre en évidence les thérapies ciblées associées aux biomarqueurs qui représentent une innovation thérapeutique considérable en cancérologie

Biomarqueurs…mais pourquoi ? Outils d’orientation ?

Les biomarqueurs sont des caractéristiques évaluées chez un patient comme indicateur de processus biologique ou de réponse pharmacologique détectées et mesurées en pratique clinique de routine par des tests de biologie médicale, d’histopathologie, ou d’imagerie médicale. Selon leur finalité, les biomarqueurs peuvent être catégorisés en biomarqueurs de dépistage, biomarqueurs « diagnostiques » (par exemple à l’identification des cancers dans les premiers stades de leur développement), biomarqueurs « pronostiques » (pour prédire l’évolution clinique comme l’agressivité de la tumeur), biomarqueurs prédictifs de réponse au traitement proposé (prédiction), et biomarqueurs de suivi thérapeutique (pour définir la dose optimale de médicaments chez un patient donné) [7].

Biomarqueurs et cancers : que « mesure »-t-on ?

En cancérologie, à la différence des médicaments de chimiothérapie cytotoxique qui visent à bloquer les divisions cellulaires, les thérapies ciblées agissent sur des voies de signalisation cellulaire (ligand, récepteur membranaire, protéines effectrices de la cascade) jouant un rôle crucial voire causal dans l’oncogenèse, suite à un évènement somatique de type mutation, translocation, et amplification/surexpression.

Par exemple, la protéine HER-2 qui joue un rôle important dans la croissance rapide des tumeurs est fortement exprimée dans une certaine population de patients atteints d’un cancer du sein. Chez ces patients, la forte présence de HER-2 dans les tumeurs incite à choisir un traitement ciblant spécifiquement l’action de cette protéine, tel que le trastuzumab et l’imatinib qui sont apparues au début des années 2000 (indication en situation métastatique en 2000, étendue en 2006 en traitement adjuvant ; puis nouvelle indication en 2011 dans le cancer de l’estomac métastatique HER2+) [8]. Mais HER-2 n’est pas uniquement une cible thérapeutique; son niveau avertit le médecin du type de tumeur auquel il est confronté, de la sévérité du cancer et de son stade d’avancement. La mesure de la présence de HER-2 est ensuite effectuée tout au long du traitement afin de contrôler l’efficacité du traitement [9]. De nombreuses études récentes ont montré que la présence d’une mutation du gène KRAS était associée à une absence de bénéfice clinique aux traitements anti-EGFR. La présence ou l’absence de mutation du gène KRAS est donc devenu un critère important pour le choix d’une thérapie adéquate pour le cancer colorectal et il est maintenant établi que seuls les patients ayant une tumeur avec un gène KRAS de type non-muté peuvent bénéficier d’un traitement anti-EGFR, tels que cetuximab (voir Tableau) [10].

Détection des cellules tumorales circulantes

Aujourd’hui, plusieurs plateformes de génétique moléculaire s’activent dans cette stratégie de thérapie ciblée en cancérologie. Les techniques actuelles de routine pour détecter les biomarqueurs prédictifs sont l’immunohistochimie et l’hybridation in situ, placées sous l’expertise des anatomo-pathologistes, ainsi que la biologie moléculaire (PCR et séquençage de type Sanger), placée sous l’expertise des biologistes médicaux et des biopathologistes (anatomo-pathologistes moléculaires).

De nouvelles technologies dites à haut débit, comme les puces CGH (hybridation génomique comparative) et le séquençage de nouvelle génération (NGS), apparaissent très prometteuses car elles permettent d’évoluer du schéma actuel vers une approche multi-marqueurs rapide et moins coûteuse relativement au biomarqueur recherché.

Certains inconvénients des biopsies solides conventionnelles (prélèvement potentiellement invasif et quantitativement insuffisant pour la caractérisation moléculaire tumorale, faible accessibilité de certains sites tumoraux, qui nécessite parfois une hospitalisation, risque d’hémorragie, spesis) encouragent actuellement au développement d’alternatives peu invasives appelées « biopsies liquides » (à partir d’un prélèvement sanguin), telles l’ADN tumoral circulant et les cellules tumorales circulantes qui permettent aussi la détection de biomarqueurs prédictifs et offrent la perspective d’apporter des informations pertinentes permettant de monitorer au plus près l’évolution tumorale (pronostic et diagnostic précoce des métastases).

Pour le moment cette technique ne remplace pas la biopsie car selon certaines études la concordance entre les résultats d’analyse du tissu et celle du plasma est limitée à 85% [11]. Néanmoins, des progrès sont en cours avec une concordance de 94% pour la détection de mutation EGFR dans le cancer bronchique [12].

D’autres études prouvent que la détection persistante de l’ADN tumoral circulant après chirurgie pourrait être un marqueur précoce de la maladie résiduelle et pourrait orienter la décision du traitement adjuvant [13]. Dans d’autres cas, la détection peut précéder le diagnostic de la maladie métastasique de 3 ans (Figure 1) [14]. Comme elle peut précéder l’évolution radiologique de 10 mois, ceci suggère une initiation précoce d'une stratégie rationnelle pour retarder ou inverser la résistance aux médicaments et donc améliorer la survie (Figure 2) [15]. 

En conclusion, au bénéfice du malade, la recherche translationnelle apparaît indispensable à la mise en place des études cliniques randomisées de sécurité et d’efficacité. Elle les précède comme preuve de concept à partir d’une hypothèse solidement étayée par des données expérimentales, notamment animales. Son succès repose d’une part sur la participation des patients aux études exigeant la collecte d’échantillons biologiques. Ceci est absolument essentiel à l'amélioration du traitement contre le cancer. D’autre part, sur les échanges et les enrichissements mutuels entre les différentes entités, laboratoire de recherche, recherche clinique, recherche épidémiologique et essais cliniques. Toutes ces collaborations permettent d’accélérer le développement de nouveaux traitements avec les meilleurs protocoles d’essais cliniques et de faire progresser l'ensemble des actions de lutte engagées au bénéfice des patients.


Références :

[1]. Mathelin C. et al, Protéome et cancer du sein, Gynécologie Obstétrique & Fertilité, 12/2006, 12, 34, 1161-1169.
[2]. World Cancer Report 2014.OMS.
[3]. Madoulet C. et al, Immunothérapie anti-tumorale contre la multidrogue résistance, Annales Pharmaceutiques Françaises, 2/2006, 2, 64, 87-96.
[4]. Patrice Debré, La recherche translationnelle : une ambition à partager avec le secteur biomédical hospitalier, La Presse Médicale, Volume 43, Issue 10, Part 1, October 2014, Pages 1080-1082.
[5]. Chabner B. et al, Translational research: walking the bridge between idea and cure-seventeenth Bruce F. Cain Memorial Award Lecture. Cancer Res 1998;58:4211-6.
[6]. van El CG et al. Whole-genome sequencing in health care: recommendations of the European Society of Human Genetics. ESHG Public and Professional Policy Committee. Eur J Hum Genet. 2013 Jun;21(6):580-4.
[7]. Jean-Louis Merlin, Les biomarqueurs moléculaires en oncologie, Springer France, 2014
[8]. Marie-Laure Amram, Thérapies ciblées en oncologie digestive. Rev Med Suisse 2011;1131-1136.
[9]. Sun Z et al. Analysis of different HER-2 mutations in breast cancer progression and drug resistance, J Cell Mol Med. 2015 Aug 25.
[10]. Loupakis. L et al, KRAS codon 61, 146 and BRAF mutations predict resistance to cetuximab plus irinotecan in KRAS codon 12 and 13 wild-type metastatic colorectal cancer. Br J Cancer. 2009 Aug 18; 101(4): 715–721.
[11]. Spindler KL. et al, Circulating free DNA as biomarker and source for mutation detection in metastatic colorectal cancer, PLoS One. 2015 Apr 13;10(4):e0108247
[12]. Zhu G. et al, Highly Sensitive Droplet Digital PCR Method for Detection of EGFR-Activating Mutations in Plasma Cell-Free DNA from Patients with Advanced Non-Small Cell Lung Cancer, J Mol Diagn. 2015 May;17(3):265-72.
[13]. Beaver JA. et al, Detection of cancer DNA in plasma of patients with early-stage breast cancer, Clin Cancer Res. 2014 May 15;20(10):2643-50.
[14]. Olsson E. et al, Serial monitoring of circulating tumor DNA in patients with primary breast cancer for detection of occult metastatic disease, EMBO Mol Med. 2015 May 18;7(8):1034-47.
[15]. Misale S. et al, Emergence of KRAS mutations and acquired resistance to anti-EGFR therapy in colorectal cancer, Nature, 2012 Jun 28;486(7404):532-6.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure1. Une analyse par séquençage de l’ADN circulant tumoral (ADNct) pour des patientes avec un cancer du sein primitif. L’ADNct est isolé à partir de 93 échantillons de sang prélevés chez 20 patientes au cours de l'évolution clinique. La détection de récurrence de la maladie par l’ADNct a précédé le diagnostic de la maladie métastasique de 3 ans (Olsson et al. Mol Med 2015).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2. La détection de l’ADNc du gène KRAS de type muté dans le sang des patients atteints du cancer colorectal devenus résistant à la thérapie anti EGFR(Cetuximab). Le résultat montre que la détection de la progression de la maladie par l’ADNc a précédé l’évaluation radiologique de 10 mois (Misale S. et al. Nature, 2012)  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau: une analyse de la réponse des patients traités par le Cetexumab pour un cancer colorectal. L’évaluation de 74 patients montre que les patients avec une mutation au niveau du gène KRAS 61/146 ou du gène BRAF résistent totalement au Cetuximab. En revanche 37% des patients ayant une tumeur avec un gène KRAS 61/146 et avec un gène BRAF de type non-muté répondent au traitement anti-EGFR (Loupakis. L et al, Br J Cancer. 2009)

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