Quand les chercheurs se lancent dans un essai clinique, ils s’engagent à le mener et à en communiquer les résultats en respectant les principes éthiques de base. Ceci suppose qu’ils veillent à communiquer des résultats exacts et à rendre publics tant les résultats positifs que négatifs [1]. Cependant, beaucoup de recherches dans le secteur des soins de santé ne sont pas publiées et, même si elles le sont, certains chercheurs ne divulguent pas tous les résultats. La sélectivité, indépendamment du motif invoqué, donne une vue incomplète et potentiellement biaisée de l’essai et de ses résultats [2].
Les médecins ont besoin des résultats des essais cliniques pour prendre des décisions sur ce qui est le meilleur traitement pour leurs patients.
Actuellement, les compagnies pharmaceutiques et les chercheurs omettent de publier les résultats des essais cliniques ou de les rendre accessibles aux médecins et aux patients qui le souhaiteraient.
Cela pourrait avoir comme conséquences que nous pouvons être induits en erreur dans la prescription d'un nouveau médicament coûteux, par exemple, alors qu'en réalité, un autre moins cher mais plus ancien est plus efficace. Les patients sont potentiellement lésés et de l'argent est gaspillé [3].
Les conséquences de biais de publication et de communication sélective ont attiré l'attention du public ayant recours aux soins de santé, des médias et des politiciens. Tous ont reconnu l'impact que les résultats non divulgués peuvent avoir sur la capacité des patients, des praticiens et des décideurs à prendre des décisions éclairées au sujet des soins de santé.
Les questions soulevées par la sous-déclaration des effets indésirables, en particulier, ont nécessité des processus plus transparents pour enregistrer les essais cliniques et pour rapporter leurs conclusions. Au cours des dernières années, l'enregistrement des essais est devenu de plus en plus recommandé (notamment via des plateformes telles que ClinicalTrials.gov) mais est insuffisamment mis en œuvre.
Selon l’OMS [4], l’enregistrement de tous les essais cliniques interventionnels est une responsabilité scientifique, éthique et morale car :
• Il est nécessaire de s’assurer que toutes les décisions relatives aux soins de santé se basent sur toutes les preuves existantes.
• Il est difficile de prendre des décisions réfléchies en présence de publications biaisées et de rapports sélectifs.
• En vertu de la Déclaration de Helsinki, «tout essai clinique doit être enregistré dans une base de données accessible au public avant que ne soit recrutée la première personne impliquée dans la recherche».
• C’est en prenant de plus en plus conscience de l’existence d’essais identiques et similaires qu’il est possible aux chercheurs et aux bailleurs de fonds d’éviter toute duplication inutile des études.
• La description des essais cliniques en cours peut faciliter l’identification des lacunes dans toute recherche basée sur des essais cliniques.
• Le processus de recrutement sera plus facile quand les chercheurs et les participants potentiels ont accès à des informations sur les essais durant la phase de recrutement.
• La collaboration entre chercheurs devient plus efficace quand les chercheurs et les praticiens dans le secteur des soins de santé ont la possibilité identifier les essais qui les intéressent. Cette collaboration pourrait comprendre une méta-analyse prospective.
• Etant donné que le processus d’enregistrement prévoit une vérification des données fournies, il est donc possible que des modifications soient apportées pour améliorer la qualité des essais cliniques grâce à l’identification des problèmes potentiels qui pourraient surgir (tels que les problèmes résultant des méthodes de randomisation) et ce dès les premières phases de la recherche.
Les chercheurs sont invités à enregistrer leurs essais pour que le public soit informé de l’existence des recherches en cours. Cela permet de suivre si les résultats de ces études sont effectivement publiés. En 2005, le comité international des éditeurs de journaux médicaux (ICMJE, www.icmje.org) a exigé de ne publier que les études qui auraient été enregistrés dès leur commencement. Malgré cela, en 2009 on constatait que, la moitié de toutes les études publiées après l’annonce de cette exigence, n’avaient pas été enregistrées comme il se doit et qu’un quart d’entre elles n’avaient pas été enregistrées du tout [5].
La Food and Drug Administration a exigé que, les résultats de toutes les études impliquant au moins un site aux Etats-Unis soient postés sur le site clinicaltrials.gov dans un délai d’un an après leur clôture. Un audit indépendant réalisé en 2012 a montré que seul un essai sur 5 répond à cette exigence et que rien n’a été entrepris à l’encontre des « contrevenants » [6].
La meilleure estimation actuelle est que la moitié de tous les essais cliniques qui ont été menés et achevés n'ont jamais été publiés dans des revues académiques, et les essais avec des résultats positifs sont deux fois plus susceptibles d'être publiés que d'autres. Ce chiffre provient d'une étude systématique menée en 2010 au Royaume-Uni par le programme NHS INDH Health Technology Assessment [7].
Ce problème concerne tous les types d’essais (académiques et industriels) à l'échelle internationale, à tous les stades du développement des médicaments et indépendamment de la taille des essais : on rapporte même des taux de publication de seulement 46% [8].
Les universités n'ont pas réussi à faire en sorte que les contrats avec les firmes pharmaceutiques concernant des études académiques permettent aux universitaires d’en publier les résultats, indépendamment du fait qu’ils soient favorables à l'entreprise.
Les comités d'éthique qui approuvent les projets de recherche ne peuvent pas garantir la protection des participants aux études, parce qu'ils n'insistent pas pour que les chercheurs publient les résultats, et ils n'ont pas non plus les moyens de vérifier si cela se fait.
Les associations professionnelles médicales ne se prononcent par non plus officiellement sur le fait que la non-publication des études cliniques constitue une mauvaise pratique.
Les médecins et leurs patients ont besoin de toute l’information sur tous les essais cliniques qui ont eu lieu avec des médicaments afin de faire des choix éclairés. Une décision clinique (« ce patient devrait-il prendre ce médicaments ? ») est différente d’une décision du régulateur (« dans l’ensemble, il est dans l’intérêt de la société/santé publique d’autoriser la mise sur le marché de ce médicament »).
Par ailleurs, le régulateur peut parfois passer à côté de problèmes importants, pourtant repérés par les académiques et les cliniciens, comme par exemple ceux survenus avec le Vioxx et la Rosiglitazone, tous deux finalement retirés du marché.
Fournir tous les résultats et les données brutes des essais cliniques dans un laps de temps approprié devrait être une obligation légale. Ces données devraient notamment être disponibles dans les registres de données gérés de manière indépendante.
Les organismes d’approbation des médicaments devraient mettre à la disposition les protocoles, les rapports d'études cliniques et les données brutes sur leur site web. Dans l’ensemble, un médicament ne devrait pas être mis sur le marché avant que ces données soient disponibles pendant au moins 12 mois, permettant aux médecins, aux patients et à ceux qui décident de rembourser le médicament avec l'argent des contribuables d'avoir leur propre regard sur les données disponibles.
Les comités d'éthique de la recherche devraient exiger l'enregistrement des essais comme une condition préalable à leur approbation, et devraient veiller à ce que tous les résultats des essais, les protocoles et les données brutes soient publiquement diffusés et enregistrés par les comités qui ont approuvé les études au plus tard 12 mois après leur clôture.
Les comités d'éthique de la recherche devraient également exiger un examen systématique des essais précédents similaires dans les dossiers de soumission pour approbation. C’est le cas de l'Institut national de recherche en santé du Royaume-Uni (UK NIHR) [10], et requis depuis 1997 par les comités d'éthique danois [11]. Un résumé des revues systématiques pertinentes devrait être mis à la disposition des participants à l'essai [12].
La campagne AllTrials est une initiative regroupant plusieurs organisations internationales et a été lancé en Janvier 2013.
Selon la campagne tous les essais passés et présents devraient être enregistrés, ainsi que les méthodes et les résultats complets rapportés. Via une pétition en ligne sur internet, elle appelle les gouvernements, les régulateurs et les organismes de recherche à mettre en œuvre des mesures visant à atteindre cet objectif.
Il existe quatre niveaux d'information dans l’enregistrement et la publication des essais cliniques: (1) l’information que l’étude a bien été menée, à partir d'un registre des essais cliniques, (2) un bref résumé des résultats de l'essai; (3) les détails sur les méthodes et les résultats complets de l'essai ; (4) les données individuelles des participants à l'essai.
La campagne AllTrials concerne les trois premiers. D’autres initiatives existent dans de nombreux pays pour travailler sur la façon dont les données individuelles des patients peuvent être partagées avec d'autres chercheurs. Tous ceux qui se sentent concernés par le partage et la publication des données issues des études cliniques (patients, médecins, chercheurs, décideurs, …) sont invités à signer la pétition en ligne sur le site qui lui est consacré : www.alltrials.net
Au Luxembourg, le Centre d’Investigation et d’Epidémiologie Clinique (CIEC), soucieux de respecter les plus hauts standards éthiques, s’associe aussi à cette initiative et invite à signer la pétition via son site dédié aux études cliniques : www.luxclin.lu (rubrique News).
Références :
1. Déclaration d’Helsinki - Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, ASSOCIATION MEDICALE MONDIALE, www.wma.net
2. http://www.who.int/ictrp/results/fr/
3. Dr Ben Goldacre with Dr Carl Heneghan (CEBM), Dr Fiona Godlee (BMJ), and Sir Iain Chalmers (JLI): Missing trials briefing note.
4. http://www.who.int/ictrp/trial_reg/fr/index.html
5. Mathieu S, et al. Comparison of Registered and Published Primary Outcomes in Randomized Controlled Trials. JAMA 2009 Sep 2; 302(9):977–84.
6. Prayle AP, Hurley MN, Smyth AR. Compliance with mandatory reporting of clinical trial results on ClinicalTrials.gov: cross sectional study. BMJ. 2012;344:d7373.
7. http://www.hta.ac.uk/fullmono/mon1408.pdf
8. Ross JS, et al. Trial Publication after Registration in ClinicalTrials.Gov: A Cross--âSectional Analysis. http://www.plosmedicine.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pmed.1000144
9. Gøtzsche PC. Why we need easy access to all data from all clinical trials and how to accomplish it. Trials. 2011 Nov 23; 12:249. doi: 10.1186/1745-6215-12-249.
10. HTA clinical evaluation and trials: an open call. National Institute for Health Research http://www.hta.ac.uk/funding/clinicaltrials/CETSpecificationDocument_Jan11.pdf]
11. Danish Research Ethics Committee System. Recommendation No. 20: controlled clinical trials - the influence of existing and newly acquired scientific results on the research ethical evaluation. Copenhagen: Danish Research Ethics Committee System; 1997.
12. Savulescu J, Chalmers I, and Blunt J: Are research ethics committees behaving unethically? Some suggestions for improving performance and accountability. BMJ 1996, 313:1390-1393.
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