Article paru dans Letz be healthy Septembre 2016 : http://www.letzbehealthy.lu/fr
Dr Hanen SAMOUDA, Dr Carine DE BEAUFORT, Dr Anna CHIOTI
Hier considéré comme un signe de santé et de prospérité en périodes de disettes, et même comme une norme de beauté, le surpoids est aujourd’hui reconnu comme un facteur de risque potentiel pour la santé dès le plus jeune âge1,2. Les chercheurs du Luxembourg Institute of Health et leurs collaborateurs font le point.
Pouvant avoir un impact sur la santé physique et mentale, l’obésité implique souvent des conséquences psychosociales qui constituent une motivation majeure de consultation pour perte de poids chez les jeunes. Elle peut par ailleurs conduire au développement de maladies métaboliques ou cardiaques dès l’enfance. De l’hypertension artérielle à l’hypercholestérolémie, en passant par le diabète de type 2 et/ou une obésité qui persiste à l’âge adulte, peuvent engendrer infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, troubles musculo-squelettiques et cancers.3,4
Fait moins connu cependant: ce risque dépend, plus que de l’accumulation de graisse de manière généralisée, de l’endroit du corps où celle-ci est stockée...Alors, bonne graisse ou mauvaise graisse ?
La “mauvaise graisse” est la graisse vicérale, donc accumulée au niveau du ventre et autour des viscères intra-abdominaux. C’est celle qui est en cause dans le développement de maladies métaboliques.
La « bonne » graisse se trouve quant à elle, sur les cuisses, les hanches et les fesses : elle joue même au contraire un rôle protecteur dans le développement de ces maladies !
«L’obésité implique souvent des conséquences psychosociales qui constituent une motivation majeure de consultation pour perte de poids chez les jeunes.» |
Le nombre de personnes et d’enfants touchés par l’obésité est en constante augmentation à travers le monde et s’explique notamment de manière classique par l’évolution de notre mode de vie5.
Souvent remis en cause : deux phénomènes auxquels les jeunes sont exposés régulièrement :
• Une surabondance de nourriture industrielle disponible tout le temps et partout, riche en graisses et sucres, et souvent accompagnée d’une réduction de la consommation de légumes, de fruits, de féculents complets et d’eau à des déficiences en micronutriments ayant notamment pour rôle de réguler le métabolisme.
• La sédentarisation de nos modes de vie : un transport presque exclusivement motorisé, une diminution importante des activités de plein air, plus de temps passé devant les écrans et une activité physique pratiquée exclusivement comme passe-temps, avec fréquemment un rythme scolaire soutenu ne laissant pas beaucoup de temps pour se dépenser.
Tout n’est pas une question de mode de vie, et l’idée émerge désormais qu’il n’existe en fait pas une seule obésité mais bien plusieurs obésités. Selon le Professeur Lee Kaplan, Harvard Medical School , il existerait même 57 différentes variétés d’obésités !6
Autrement dit, il existe plusieurs raisons qui font que la graisse s’accumule dans le corps indépendamment du mode de vie. Chez l’enfant, à titre d’exemple, il pourrait s’agir d’un excès de graisse dû à une déficience en leptine (l’hormone qui contrôle la satiété), au stress et à l’élévation conséquente des concentrations de cortisol et d’inflammation.
L’obésité peut également ne pas provoquer de complications cardiométaboliques.
C’est le cas notamment de l’obésité métaboliquement saine (en anglais : metabolically healthy obesity) qui concerne les jeunes et les adultes qui ont un excès de poids sans pour autant développer d’hyperglycémie, hyperlipidémie, hypertension artérielle, résistance à l’insuline et/ou inflammation, habituellement connus pour donner lieu à des complications cardiovasculaires.
A titre d’exemple, 20 à 70% des enfants, selon la population étudiée, pourraient être concernés par cette metabolically healthy obesity.
Leur prise en charge doit absolument être personnalisée sous peine d’aboutir à des résultats contre-productifs. Un prise en charge “classique” pour perte de poids peut en effet amener au développement de certaines anomalies comme l’insulinorésistance7.
Le comportement alimentaire et la sédentarité ne constituent en fait que la partie émergée de l’iceberg. Bien au-delà, plusieurs facteurs aussi bien internes qu’externes contribuent à l’obésité, comme récemment illustré par l’Obesity Society8.
Le processus semble démarrer avant même la naissance, avec le statut pondéral et les prédispositions génétiques des futurs parents qui jouent un rôle déterminant avant même la conception.
Pendant la grossesse, le fœtus est influencé par l’état de santé et les habitudes de vie de la future mère : poids, activité physique, alimentation, diabète gestationnel, stress, tabagisme ou encore exposition à différents polluants (air, alimentation, eau, cosmétiques, produits ménagers).
Tout au long du développement de l’enfant, d’autres facteurs influencent la prise de poids, surtout en présence d’un terrain génétique favorable, à savoir :
- la pression environnementale sur l’activité physique à travers la diminution des opportunités d’être physiquement actif au quotidien : les trajets vers l’école qui ne se font plus à pied mais en voiture, la disponibilité des écrans et des loisirs ne nécessitant pas d’être physiquement actif ou encore la rareté des environments propices à la marche à pied en sont des exemples concrets.
- la pression économique se matérialisant notamment par une économie du marché qui encourage la surabondance alimentaire, véhiculée par une publicité omniprésente, en même temps que l’absence de support nutritionnel aux milieux socioéconomiques les moins favorisés.
L’un comme l’autre augmentent le risque de malnutrition.
- la pression engendrée par des conflits familiaux : la maltraitance provoque en effet un stress chronique et même une perte de confiance, un repli, une mauvaise estime de soi favorisant la prise de poids.
Couplé à une pression sociétale continue notamment à travers la stigmatisation, cela augmente le risque d’anxiété sociale, de troubles alimentaires et d’évitement de l’activité physique.
Des outils pour une surveillance accrue à la maison !
1. L’Indice de Masse Corporelle ou IMC est l’outil le plus utilisé pour estimer le surpoids et l’obésité.
Chez l’adulte, les 4 catégories majeures du statut pondéral recommandées par l’Organisation mondiale de la Santé sont : Insuffisance pondérale: IMC <18.5 Kg/m2. Chez l’enfant, les seuils d’IMC évoluent avec la croissance, ce qui a conduit au dé- veloppement de courbes de distribution de l’IMC en fonction de l’âge et du sexe tant sur le plan international que national9,10. Courbes luxembourgeoises d’IMC:. http://files.lih.lu/Press/LBF092016-IMC.pdf
2. Le tour de taille : A défaut de courbes propres à la population pédiatrique luxembourgeoise, l’obésité abdominale peut être identifiée grâce aux courbes européennes de distribution du tour de taille qui définissent le seuil de risque en fonction de l’âge et du sexe Seuils de risques européens de l’obésité abdominale pour les enfants, adapté de l’article de Ahrens et al.: http://files.lih.lu/Press/LBF092016-tourdetaille.pdf |
Dr Hanen Samouda (LIH), Dr Carine de Beaufort (CHL), Dr Michael Witsch (CHL), Dr Anna Chioti (LIH)
Dans le cas d’une obésité associée à des complications métaboliques, une perte de poids, indépendamment de son importance, les réduit dans la plupart des cas. Si l’on considère généralement qu’une réduction de 5 à 10% de l’IMC de l’enfant est suffisante, l’objectif à atteindre se doit d’être individualisé pour répondre à ses besoins et tenir compte de son environnement13,14.
Il n’existe à ce jour au Grand-duché de Luxembourg pas encore de programme de prise en charge standardisé de l’obésité chez l’enfant, qui soit reconnu et remboursé par la Caisse Nationale de Santé.
Les formules de prise en charge de l’obésité existantes sont pour l’instant:
- En cas d’obésité sévère : la prise en charge des enfants dans des centres spécialisés à l’étranger.
- En cas d’obésité moins sévère : une approche individuelle incluant, selon les cas des approches pédiatrique, diététique, et/ou psychologique.
- Depuis peu, des cours pour pathologies alimentaires (anorexie, boulimie) conduits par le Service National de la Psychiatrie Juvénile à l’hôpital Kirchberg sont pris en charge par la Caisse Nationale de Santé.
Les difficultés liées à ces prises en charge sont malheureusement nombreuses.
La vie familiale et le suivi scolaire de l’enfant sont notamment fortement impactés lors de la prise en charge dans un centre à l’étranger, prise en charge dont le succès thérapeutique reste limité puisque la famille n’a pas l’opportunité d’acquérir les nouvelles habitudes de vie apprises par l’enfant dans le centre spécialisé.
Dans les deux cas de figure, la qualité du traitement dépend en partie des ressources de la famille, qui peut ou non faire intégrer l’enfant à un centre, ou prendre en charge les consultations non remboursées par la Caisse Nationale de Santé (prise en charge psychologique ou diététique au-delà d’un certain nombre de visites).
Enfin, le Service de Psychiatrie Juvénile au Kirchberg n’accueille que les adolescents avec pathologie psychiatrique en phase aiguë, et seul l’aspect de troubles alimentaires est abordé dans le cas de l’obésité.
«Il n’existe à ce jour au GrandDuché de Luxembourg pas encore de programme de prise en charge standardisé de l’obésité chez l’enfant, qui soit reconnu et remboursé par la Caisse Nationale de Santé.» |
C’est ce que l’étude OSPEL (Obésité et Surcharge Pondérale de l’Enfant au Luxembourg. Investigateurs Principaux : Dr Hanen Samouda, Dr Carine de Beaufort), cofinancée par le Ministère de la Santé, le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Fonds National de la Recherche et le Luxembourg Institute of Health a cherché à définir.
Le principe de l’étude ? Mettre en parallèle deux approches différentes de prise en charge thérapeutique :
- D’une part, l’approche classiquement pratiquée au Grand-duché et à modèle variable : individuelle, à fréquence variable, pédiatrique, diététique, et/ou psychologique.
- D’autre part un programme développé dans le cadre de l’étude avec l’aide d’une équipe pluridisciplinaire (diététiciennes, éducateurs de sport, psychologues), proposant une prise en charge en groupe, régulière et soutenue et incluant les parents.
Résultats : cette deuxième approche porte ses fruits, puisque 75% des participants (contre 58% des patients suivant l’approche classique) ont vu leur IMC diminuer au bout des 4 premiers mois de prise en charge.
La prévention constitue le meilleur moyen d’enrayer l’épidémie d’obésité de l’enfant. |
C’est suite à l’étude OSPEL que le groupe « DECCP » (Diabetes Endocrinology Care Clinic Pédiatrique) de la Kannerklinik a développé un programme de prise en charge multidisciplinaire pour les jeunes en surpoids.
« Le programme est multidisciplinaire et comprend une série d’interventions ayant pour but la modification des comportements et l’amélioration de la qualité de vie », explique le Dr Witsch, pédiatre au Centre Hospitalier de Luxembourg.
Il agit particulièrement sur :
• la modification des comportements alimentaires (éducation diététique, modification des habitudes alimentaires),
• la diminution de la souffrance psychologique individuelle et sociale,
• la lutte contre la sédentarité,
• l’encouragement de l’activité physique quotidienne en général,
• les approches centrées sur la famille et/ou sur l’enfant en fonction de son âge.
Une première à Luxembourg, même si l’absence de remboursement par la caisse de santé, ne permet pas à tous les patients qui en auraient besoin d’y participer.
EN CHIFFRESLe surpoids et l’obésité des enfants constituent une crise de santé publique, puisqu’il s’agit d’un phénomène mondial et dont la prévalence et les complications se sont accrues à un rythme alarmant. L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) estimait qu’en 2010 le monde comptait plus de 42 millions d’enfants en surpoids et ce déjà avant l’âge de 5 ans ! Le Luxembourg est également touché avec des prévalences de surpoids estimées à 29,3% chez les garçons et à 17,7% chez les filles de 2 à 19 ans |
Recommandations Un régime alimentaire privilégiant la consommation de davantage de fruits et de légumes; limitant la consommation de graisses et de sucres; et une activité physique modérée à intense, qui soit appropriée au point de vue du développement et qui implique diverses activités, constituent des recommandations générales. Des mesures sociétales doivent les accompagner, via un engagement politique soutenu et la collaboration de nombreux intervenants publics et privés, le but étant de créer des environnements sains propices à l’activité physique et de faire en sorte que les options alimentaires plus saines proposées aux enfants et aux adolescents soient abordables et facilement accessibles. Enfin, il ne faut pas oublier de personnaliser les traitements lorsque c’est nécessaire. Ceci s’applique notamment aux personnes ayant une metabolically healthy obesity chez qui les traitements classiques de perte de poids ne sont pas souhaitables, et risquent même d’engendrer des complications de santé ! POUR CONCLURE Mieux vaut prévenir que guérir… Il est communément admis que la prévention constitue le meilleur moyen d’enrayer l’épidémie d’obésité de l’enfant. Les mesures de prévention doivent tenir compte du caractère «obésogène» de l’environnement dans lequel grandissent les enfants: changement des habitudes alimentaires, aliments transformés industriels, accès limité à des aliments tels que les fruits et légumes frais, pouvoir d’achat et niveau d’éducation des parents, activité physique restreinte, activités de loisirs sédentaires (écrans) |
Références: http://files.lih.lu/Press/LBF092016-ref.pdf
1. WHO. Obesity: preventing and managing the global epidemic. Report of a WHO Consultation. 2000.
2. Ayer J, Charakida M, Deanfield JE, Celermajer DS. Lifetime risk: childhood obesity and cardiovascular risk. European heart journal. 2015;36(22):1371-6.
3. Samouda H, De Beaufort C, Stranges S, Hirsch M, Van Nieuwenhuyse JP, Dooms G, et al. Cardiometabolic risk: leg fat is protective during childhood. Pediatr Diabetes. 2015.
4. Bosch J, Stradmeijer M, Seidell J. Psychosocial characteristics of obese children/youngsters and their families: implications for preventive and curative interventions. Patient education and counseling. 2004;55(3):353-62.
5. Dutheil F, Lac G, Lesourd B, Chapier R, Walther G, Vinet A, et al. Different modalities of exercise to reduce visceral fat mass and cardiovascular risk in metabolic syndrome: the RESOLVE randomized trial. Int J Cardiol. 2013;168(4):3634-42.
6. Conscienhealth. 57 Varieties of Obesity: Moving Past One Size Fits All. Adapted from Kaplan L., presentation at the 29th Blackburn Course in Obesity Medicine, June 2, 2016. [16th June 2016]. Available from: http://conscienhealth.org/2016/06/57-varieties-obesity-moving-past-one-size-fits/.
7. Bluher S, Schwarz P. Metabolically healthy obesity from childhood to adulthood - Does weight status alone matter? Metabolism: clinical and experimental. 2014;63(9):1084-92.
8. The Obesity Society Infographic Task Force. Potential Contributors to Obesity 2015 [15th June 2016]. Available from: http://www.obesity.org/obesity/resources/facts-about-obesity/infographics/potential-contributors-to-obesity.
9. de Onis M, Onyango AW, Borghi E, Siyam A, Nishida C, Siekmann J. Development of a WHO growth reference for school-aged children and adolescents. Bulletin of the World Health Organization. 2007;85(9):660-7.
10. Cole TJ, Bellizzi MC, Flegal KM, Dietz WH. Establishing a standard definition for child overweight and obesity worldwide: international survey. Bmj. 2000;320(7244):1240-3.
11. Lohmann TG RA, Martorell R. . Anthropometric standardization reference manual. Abriged edition. 1988.
12. Ahrens W, Moreno LA, Marild S, Molnar D, Siani A, De Henauw S, et al. Metabolic syndrome in young children: definitions and results of the IDEFICS study. International journal of obesity. 2014;38 Suppl 2:S4-14.
13. Cole TJ, Faith MS, Pietrobelli A, Heo M. What is the best measure of adiposity change in growing children: BMI, BMI %, BMI z-score or BMI centile? Eur J Clin Nutr. 2005;59(3):419-25.
14. Colquitt JL, Loveman E, O'Malley C, Azevedo LB, Mead E, Al-Khudairy L, et al. Diet, physical activity, and behavioural interventions for the treatment of overweight or obesity in preschool children up to the age of 6 years. The Cochrane database of systematic reviews. 2016;3:CD012105.
15. Ng M, Fleming T, Robinson M, Thomson B, Graetz N, Margono C, et al. Global, regional, and national prevalence of overweight and obesity in children and adults during 1980-2013: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. Lancet. 2014; 384: 766-81.
for articles/videos/studies
The articles can be sorted by therapeutic area or disease, but may also deal with more general topics not specifically related to a disease. These articles can be sorted as "other".