Article paru dans l’édition Septembre 2019 du magazin Semper – www.dsb.lu
Bien connue des lecteurs de Semper Luxembourg, le Dr Anna CHIOTI est depuis mars 2018 en charge de la création de la future agence luxembourgeoise des médicaments et produits de santé. Depuis le 1er août, elle est à la tête de la Division de la Pharmacie et des Médicaments (DPM) à la Direction de la Santé.
Comme on pouvait s’y attendre, c’est donc le Dr Anna CHIOTI qui a été nommée comme nouveau chef de la Division de la Pharmacie et des Médicaments (DPM), pour succéder à Jacqueline GENOUX-HAMES, partie à la retraite, après 35 années de bons et loyaux services.
Biographie express
Médecin de formation, titulaire d’une formation spécifique en médecine générale et d’un master en santé publique, le Dr Anna CHIOTI est riche d’une belle expérience professionnelle: après une pratique médicale en hôpital et en cabinet de ville, et un parcours professionnel dans l’industrie pharmaceutique, elle a rejoint en 2010 le Luxembourg Institute of Health (alors CRP Santé), d’abord comme responsable du |
Nous reprenons dans l’encadré ci-après les fonctions règlementaires minimales pour une agence du médicament, telles que définies par l’OMS.
Actuellement, au Grand-Duché de Luxembourg, l’autorité compétente en matière de médicaments est la DPM - la Division de la Pharmacie et des Médicaments, qui a pour compétences toutes les questions relatives à l’exercice de la pharmacie, d’une part, et les questions relatives aux médicaments et aux produits pharmaceutiques, d’autre part.
Ce deuxième volet est évidemment l’activité la plus importante, puisqu’il s’agit de réglementer tout le cycle de vie du médicament: fabrication, mise sur le marché, distribution, importation-exportation, etc. Et ce, non seulement pour les médicaments à usage humain, mais aussi pour les médicaments vétérinaires, les précurseurs des stupéfiants, les cosmétiques, les dispositifs médicaux ainsi que les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, et depuis récemment le cannabis médicinal. Nous parlons donc d’un portefeuille important de produits à réglementer.
Historiquement, au Grand-Duché de Luxembourg, en l’absence de grande industrie pharmaceutique développée, les autorités n’avaient pas à réglementer la totalité du cycle de vie sur le territoire luxembourgeois. C’est la raison pour laquelle, initialement, la DPM était une division de taille relativement restreinte.
Avec les années, cependant, sous l’impulsion des efforts accomplis par le gouvernement afin de motiver les entreprises à s’implanter au Luxembourg, on a vu croître les besoins en réglementation, tandis que parallèlement, le domaine des médicaments et des produits de santé devenait de plus en plus réglementé au niveau européen.
Pour la DPM, ceci a engendré une augmentation des besoins, en termes de compétences, d’expertise et de ressources, et dans le même temps la législation devait être adaptée.
Au vu de ces évolutions, un état des lieux a été commandité en 2017, lequel a abouti à une double recommandation: entamer un processus de réorganisation de la DPM existante et engager les travaux préparatoires à la création d’une véritable agence du médicament. Et c’est là qu’intervient le Dr Anna CHIOTI.
Fonctions réglementaires minimales pour une autorité compétente nationale (NCA)/Agence
• S’assurer que tous les établissements de fabrication, d’importation, d’exportation, de vente en gros et de distribution de médicaments sont autorisés (GMP, GDP) • Avant la commercialisation des médicaments, évaluer leur innocuité, leur efficacité et leur qualité • Surveiller la qualité et l’innocuité des médicaments sur le marché afin d’empêcher que les médicaments nocifs, de qualité inférieure ou contrefaits ne parviennent au public • Inspecter et contrôler régulièrement le marché informel, y compris le commerce électronique, pour prévenir le commerce illégal de médicaments et produits de santé • Surveiller la publicité et la promotion des médicaments, et fournir des informations indépendantes sur leur utilisation rationnelle au public et aux professionnels • Participer aux réseaux de réglementation et aux réunions internationales des autorités de réglementation des médicaments pour discuter de questions d’intérêt et de préoccupation mutuelles, faciliter l’échange d’informations en temps opportun et promouvoir la collaboration. • Surveiller et évaluer la performance pour évaluer si les objectifs réglementaires perçus ont été atteints, identifier les faiblesses et prendre des mesures correctives (QMS) (Source: WHO Policy Perspectives on Medicines no 7, 2003) |
Actuellement, le Luxembourg est le seul pays européen à ne pas disposer d’une agence du médicament indépendante. Historiquement, les compétences ont été fractionnées entre différents services, avec actuellement une DPM comptant moins de 20 équivalents temps-plein, là où dans des pays de taille comparable la norme est deux à trois fois plus élevée.
Dr Anna CHIOTI: «La DPM est en phase de professionnalisation. Nous avons brossé la cartographie des activités qui lui reviennent, et aujourd’hui notre objectif est de répondre aux besoins de nos clients, que sont les professionnels de la santé, l’industrie et le public. C’est donc autour de ces trois axes que nous voulons structurer les activités.» |
Semper: C’est un défi de taille que de réorganiser la DPM tout en mettant sur pied une agence du médicament.
Dr CHIOTI: C’est en effet avec cette double mission que j’ai intégré la Di¬rection de la Santé en mars 2018.
Il s’agissait donc de cartographier les activités relatives principalement liées aux médicaments à usage humain, mais aussi aux médicaments à usage vétérinaire, en tenant compte des différents partenaires de la DPM en place, comme l’Administration des Services Vétérinaires. Il a également fallu intégrer, en avril 2018, les dispo¬sitifs médicaux ainsi que les dispositifs de diagnostic in vitro - auparavant au sein de la division de la médecine curative - et qui impliquent des opé¬rateurs de plus en plus nombreux au Luxembourg, pour lesquels la collabo¬ration avec le Ministère de l’Economie est très importante, afin de pouvoir proposer des solutions performantes pour les entreprises.
Enfin, s’ajoutent à cette liste une série de produits particuliers, comme les cosmétiques, les vaccins, avec la nécessité de répondre aux besoins du plan national de vaccination, les stupéfiants, le cannabis médicinal et ce qu’on appelle les produis borderline, à cheval sur différentes catégories, impliquant des collaborations par exemple avec les services en charge de la sécurité alimentaire ou de l’environnement, notamment pour tout ce qui touche les biocides ou les OGM.
Semper: On voit que la DPM, dans ses missions, est appelée à collaborer avec bon nombre d’administrations ou d’interlocuteurs, avec aussi une mission d’information autour des domaines traités.
Dr CHIOTI: Effectivement. Ainsi, nous avons commencé à mettre en place des plans d’inspection structurés, avec identification des ressources nécessaires, et au besoin appel à des experts externes. Et, évidemment, cette surveillance inclut tout ce qui concerne les alertes et la sécurité du médicament, en collaboration avec l’agence européenne des médicaments et, notamment, au niveau national, le Laboratoire National de Santé.
En termes d’information, outre l’information des professionnels, une agence du médicament a également une mission d’information du grand public. En la matière, on peut citer comme réalisations récentes l’élaboration d’une brochure d’information sur la conduite automobile et la prise de médicaments, ou sur le cannabis médicinal. A terme, ces informations seront par ailleurs disponibles sur un site internet spécifique, actuellement en construction.
Nous avons également identifié tous les points qui devraient être revus dans la législation, et déterminé une feuille de route pour les 3 prochaines années. Pour ce dernier point, il est justement très important de consulter et d’impliquer tous nos interlocuteurs concernés par le cycle de vie des médicaments et produits de santé au Luxembourg. Les premières consultations commenceront cet automne.
Semper: Un de vos interlocuteurs, et non des moindres, est l’industrie pharmaceutique. Pourquoi est-ce important pour le Luxembourg?
Dr CHIOTI: Un premier enjeu est d’accompagner le développement économique, avec pour interlocuteur de référence l’Association Pharmaceutique Luxembourgeoise (APL-pharma), avec laquelle nous avons une excellente collaboration.
L’agence s’inscrit ainsi dans la continuité des plans d’action gouvernementaux, dont le but est d’accompagner le développement industriel du secteur de la santé. Ces plans d’action ont d’ores et déjà abouti - et nous pouvons nous en féliciter - à un véritable écosystème qui se développe et se structure, autour de différents instituts de recherche et d’entreprises innovantes, qui nous permettent de pouvoir faire appel aujourd’hui à un véritable réseau d’experts et d’interlocuteurs.
Semper: D’aucuns se demandent parfois pourquoi chaque pays doit disposer d’une agence du médicament, alors qu’il existe une agence européenne du médicament (EMA)…
Dr CHIOTI: Les règles relatives aux médicaments dans l’Union européenne visent essentiellement à protéger la santé publique, sans entraver le développement de l’industrie pharmaceutique ou du commerce européen des médicaments. Ce double objectif de protection de la santé publique et de libre circulation des médicaments constitue le fil rouge de l’ensemble du cadre juridique relatif aux médicaments. L’agence européenne du médicament s’inscrit donc dans le contexte..
Il existe cependant des spécificités nationales. Ainsi, si une société demande l’autorisation de mise sur le marché d’un produit au niveau central, l’évaluation du dossier est certes centralisée par l’EMA, et est ensuite théoriquement valable pour chaque pays, mais c’est ensuite au niveau national que se traitent l’enregistrement du produit, et enfin les conditions d’accès et de remboursement. De plus, les entreprises ont la possibilité de solliciter une autorisation de mise sur le marché au niveau national. Pour pouvoir répondre à ces sollicitations, la mise en place d’une agence dotée des compétences nécessaires est indispensable.
Semper: La question que se posent les médecins est la suivante: l’investissement dans une «vraie» agence du médicament aura-t-il un impact sur la liberté thérapeutique du médecin luxembourgeois et sur l’accès aux médicaments pour ses patients?
Dr CHIOTI: Clairement, la volonté est de conserver la liberté thérapeutique tout en la cadrant, afin d’assurer un accès sûr et le plus large possible, pour chaque patient, à l’innovation thérapeutique. Et précisément, disposer d’une agence du médicament pourra aussi nous permettre, pour certains dossiers, de répondre aux besoins spécifiques du Luxembourg.
Un exemple en la matière est le problème des ruptures de stock des médicaments. Or, pour pouvoir discuter directement avec les entreprises pharmaceutiques et défendre les intérêts de la population luxembourgeoise, une agence du médicament mettant en place des procédures d’anticipation des tensions d’approvisionnement du marché sera un atout ma jeur, en nous permettant de mener en direct ces discussions avec le secteur pharmaceutique.
Face à l’asymétrie d’accès aux traitements qui peut exister par rapport à nos pays voisins, en matière de remboursement notamment, notre objectif est de mettre en place des critères nationaux, avec pour principes sous-jacents l’accès le plus large possible pour la population luxembourgeoise et une sécurité garantie.
Notre stratégie est donc de garantir la sécurité des produits de santé, et de favoriser un accès rapide et encadré aux citoyens, y compris pour les programmes d’usage compassionnel. Ainsi, pour l’usage compassionnel, nous visons une simplification administrative, ce qui passe d’une part par une clarification de la législation, et d’autre part par une numérisation maximale, afin de permettre aux professionnels d’introduire des demandes en ligne, ce qui accélèrera le traitement et facilitera la communication entre les acteurs, médecins et pharmaciens.
Nous voulons garantir l’accès au médicament et à l’innovation. Nous voulons continuer à le faire, de manière cadrée et professionnelle.
En échange, nous voulons être considérés à l’égal de nos voisins, avec les besoins spécifiques d’une population en croissance.
Semper: Dans ces matières, quels sont ou devraient être les rôles respectifs de l’agence et de la CNS?
Dr CHIOTI: Il est très important que l’agence du médicament dialogue avec la CNS et l’IGSS. Aujourd’hui, le processus d’enregistrement, de fixation du prix et de remboursement a encore un côté informel, mais nous travaillons à une procédure qui permettra de clarifier le rôle de chaque autorité compétente. Dans d’autres pays, ce dialogue se fait par l’intermédiaire des agences d’évaluation médico-économique (KCE en Belgique, HAS en France), un type d’entité qui n’existe pas encore au Luxembourg.
L’agence pourra donc faciliter le volet médico-économique mais elle ne s’alignera pas systématiquement sur les décisions d’un pays voisin, comme on le redoute parfois. Il existe en effet des spécificités luxembourgeoises que nous voulons conserver, et notamment un accès plus rapide aux nouveaux médicaments. C’est pourquoi nous souhaiterions, en tant qu’agence, pouvoir réaliser le suivi d’un certain nombre de médicaments. Le but n’étant pas de contrôler les médecins, mais d’observer les besoins spécifiques de la population. Le Grand-Duché de Luxembourg pourrait ainsi être un laboratoire d’observation, dont l’expertise pourrait être utile aux pays voisins.
Dr Eric MERTENS,
D’après un entretien avec le Dr Anna CHIOTI
En vrac: ce qui est déjà accompli…
• Etat des lieux. |
«La collaboration avec le Ministère de l’Économie est très importante, afin de proposer des solutions performantes pour les entreprises, mais aussi pour générer de la connaissance réglementaire qui enrichira le savoir faire de la future agence.»
«Notre stratégie est de garantir la qualité, l’efficacité et la sécurité des produits de santé tout en favorisant un accès rapide et cadré à la population.»
«Outre l’accompagnement réglementaire des entreprises, une agence du médicament a également une mission d’information des professionnels de santé, des patients et du grand public.»
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